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Emprunts
toxiques : quand l'État se protège sur le dos des collectivités
locales
Le
Point.fr - Publié le 27/09/2013 à 17:22 - Modifié le 27/09/2013 à
17:43
L'État va valider rétroactivement des
prêts bancaires litigieux, malgré l'absence de la mention -
obligatoire - du taux d'intérêt effectif global
L'État joue-t-il vraiment franc jeu
avec les collectivités locales plombées par des emprunts toxiques ?
Sous le couvert de les aider à rembourser leurs "emprunts
structurés", ces prêts indexés sur des paramètres complexes
de marchés qu'elles ont parfois souscrits, l'article 60 du budget
2014 leur met la pression pour qu'elles payent leur dû.
Pour les amadouer, Bercy agite d'abord
une "carotte" : un fonds de soutien de 100 millions d'euros
par an pendant une durée maximale de 15 ans, financé pour moitié
sur les crédits de l'État et pour l'autre moitié par une
augmentation de la taxe systémique (1) imposée aux banques.
"Un chantage complet" (maître
Hélène Feron-Poloni)
Mais il manie surtout le bâton. Pour
pouvoir bénéficier de cette aide, les collectivités devront
"préalablement conclure une transaction sur l'ensemble des
emprunts structurés et instruments financiers" potentiellement
dangereux avec la banque concernée. En clair, renoncer à contester
leur(s) contrat(s) de prêts litigieux.
"Les collectivités vont être
mises devant un choix impossible à faire.
Elles vont devoir renoncer
à aller en justice ou à un procès en cours pour une aide
hypothétique dans son principe et dans sa durée", s'indigne
maître Hélène Feron-Poloni, spécialisée dans les litiges
opposant des clients de banque et les établissements financiers au
cabinet Lecoq-Vallon & Feron-Poloni. Le projet de loi prévoit en
effet que le montant de l'aide sera décidé conjointement par le
ministre du Budget et le ministre des Collectivités locales. Leur
décision n'interviendra qu'une fois l'accord conclu avec
l'établissement de crédit. Quant aux critères et conditions
d'octroi de l'aide, ils sont renvoyés à un futur décret. Le délai
imposé aux collectivités est par ailleurs serré : l'État leur
demande de faire leur choix avant le 15 mars 2015. Faute de quoi, il
sera trop tard pour bénéficier du soutien du fonds. Et ce, alors
même que certains prêts structurés pourraient se révéler
toxiques bien plus tard, puisque les taux sont indexés sur
différentes variables de marché complexes. Conclusion d'Hélène
Feron-Poloni : "C'est un chantage complet."
L'État défend ses propres intérêts
Le dilemme sera d'autant plus cornélien
pour les collectivités qu'un jugement du tribunal de grande instance
de Nanterre du 8 février leur est largement favorable. Saisie sur le
caractère abusif de prêts conçus par Dexia au début des années
90, la juridiction a annulé les taux d'intérêt de trois contrats
de prêts au motif qu'ils ne comportaient pas la mention -
obligatoire - du taux effectif global (TEG, le taux d'intérêt tout
compris, une fois inclus les frais obligatoires, frais de dossier,
assurances, et autres frais annexes...). Et leur a substitué un
"taux d'intérêt légal", très faible de 0,71 % en 2012
et encore plus bas aujourd'hui.
Pourquoi l'État veut-il à tout prix
obliger les collectivités à respecter leur contrat de prêt
litigieux ? Pour Hélène Feron-Poloni, il ne fait que protéger ses
propres intérêts. En tant que garant de Dexia depuis la chute de la
banque franco-belge des collectivités locales en 2010, la décision
du TGI de Nanterre fait peser sur ses finances un risque
considérable. Bercy ne s'en cache d'ailleurs pas. Dans l'exposé des
motifs de l'article 60 du PLF, il s'inquiète d'un triplement, entre
début février et début septembre, des assignations de la SFIL, la
nouvelle structure créée dans le cadre du démantèlement de la
banque des collectivités locales, dont il est actionnaire à 75 %.
Elle serait confrontée à 196 contentieux. Quant à Dexia SA, dont
l'État détient 44 %, elle est confrontée à 54 cas similaires !
Or, ces deux établissements "détiennent à leur bilan une part
très significative de crédits conclus conformément au processus
sanctionné par cette jurisprudence", reconnaît l'État. Un
risque potentiel de plusieurs milliards d'euros pour les finances
publiques.
Les intérêts des emprunteurs lésés
?
Pour être bien sûr d'écarter tout
risque potentiel, l'article 60 du PLF 2014 prévoit par ailleurs la
validation rétroactive des contrats de prêt et des avenants aux
contrats de prêt conclus entre des "personnes morales" et
des "établissements de crédit", lorsqu'ils sont contestés
pour défaut de mention du fameux taux d'intérêt effectif global.
"Les personnes morales, cela vise non seulement les
collectivités, mais aussi les sociétés, petites ou grosses, et les
particuliers eux-mêmes qui peuvent être concernés lorsqu'ils
s'endettent via des sociétés civiles immobilières (SCI)",
décrypte Hélène Feron-Poloni. Ces derniers ne bénéficieront donc
plus de la protection que les textes leur apportaient jusqu'ici.
"Cette loi de validation a pour objet de supprimer le droit des
emprunteurs à être informés du TEG de leurs prêts. C'est une loi
spoliatrice : pendant des années, des banques n'ont pas respecté
leurs obligations d'informations dans les contrats de prêt."
Très remontée, l'avocate dénonce un
véritable texte "de droite, initié par un gouvernement de
gauche, tout ça pour sauver les opérations de restructuration de
Dexia". D'autant que le Code de la consommation sera lui aussi
modifié dans un sens plus favorable aux établissements financiers,
lorsque le taux effectif global aura été sous-estimé.
Risques pour le système bancaire ?
Dans son exposé des motifs, Bercy
justifie cette décision par le risque potentiel représenté par la
jurisprudence du TGI de Nanterre pour toutes les banques, si elle
devait être généralisée. "Certains établissements bancaires
présentent en effet un risque de perte susceptible de mettre en
péril leur respect des normes de solvabilité."
Interrogée sur la réalité de cette
assertion, la Fédération bancaire française (FBF) n'a pas souhaité
commenter à ce stade. Elle se borne à rappeler que le gouverneur de
la banque de France atteste la solidité des banques françaises qui
ont considérablement renforcé leurs fonds propres depuis le début
de la crise.
Elle a en tout cas combattu
l'alourdissement de la taxe systémique jusqu'au bout, allant même
jusqu'à écrire une lettre au ministre de l'Économie pour faire
valoir ses arguments. Elle estimait qu'un fonds de soutien n'avait
pas de justification "alors que le processus de résolution
bilatérale entre banques concernées et collectivités locales se
poursuit activement" et qu'elles consentent déjà de gros
efforts lors de ces négociations. Selon Le Monde, qui avait révélé
ce courrier, la FBF estimait également qu'une taxe "ne
bénéficierait en fait qu'à une activité en extinction, celle de
Dexia, au détriment du reste du secteur bancaire", alors que la
part des établissements sur le marché des collectivités locales
est très inégale.
Pour Hélène Feron-Poloni, les banques
ont "visiblement obtenu des gages pour participer au fonds de
soutien, puisque la modification est applicable à tous les contrats
de prêt".
Une disposition illégale ?
Mais l'avocate conteste la conformité
de cette validation rétroactive de contrats de prêt litigieux avec
le droit européen. Et invoque une précédente décision de la Cour
européenne de justice. En 2006, l'institution avait condamné la
France après que l'État avait fait valider rétroactivement en 1996
des prêts pour lesquels les banques n'avaient pas respecté leur
obligation de mentionner la part de capital remboursée à chaque
échéance par rapport à la part des intérêts.
Selon elle, le motif de menace de
survie des banques ou de déséquilibres de l'ensemble de l'économie,
qui pourrait être invoqué pour justifier la validation rétroactive,
ne tient pas : "Les banques ne peuvent pas se prévaloir d'un
risque systémique si elles n'ont pas appliqué les textes qui
auraient pu les prémunir contre ces risques systémiques."
Selon Hélène Feron-Poloni, les
autorités sont parfaitement conscientes de ce risque judiciaire,
mais "elles s'en moquent complètement, parce que cela
n'arrivera pas devant la Cour de justice des communautés européennes
avant dix ans".
(1) La taxe systémique a été créée
par la loi de finances pour 2011. Elle est applicable aux banques
supervisées et elle est censée prévenir les risques excessifs.
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