dimanche 14 septembre 2014

Emprunts toxiques : L’inaction de l’État coûte cher aux collectivités

http://liberalrepublique.wordpress.com/2014/09/13/scandale-des-emprunts-toxiques-linaction-de-letat-coute-cher-aux-collectivites-territoriales/

Scandale des emprunts toxiques : L’inaction de l’État coûte cher aux collectivités territoriales

La loi rétroactive du 29 juillet 2014 relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public[1] écarte la responsabilité des banques, et « condamne » exclusivement les collectivités territoriales et leurs groupements concernés à supporter le coût des emprunts toxiques[2] ; 70% ont été contractés auprès de la banque Dexia Crédit local (DCL). L’État s’occupant dorénavant de ses crédits par l’intermédiaire de la Société de financement local (SFIL), l’enjeu de cette mesure est de ne pas faire peser sur ses finances publiques l’encours de ses prêts toxiques soit 17 milliards d’euros.
La Commission d’enquête sur les produits financiers souscrits par les acteurs publics locaux[3] et la Cour des comptes[4] :
  • reconnaissaient certes une mauvaise gestion active de la dette, une absence de politique d’endettement et un manque de transparence de certains acteurs publics locaux ;
  • mais pointaient surtout l’opacité et la complexité des produits proposés par les banques, la difficulté de détecter les risques et leurs politiques commerciales très agressives voir illégales en faveur d’un nouveau produit hautement spéculatifs : les prêts structurés ;
  • et admettaient un contrôle limité des services étatiques.
Les responsabilités des élus locaux et des établissements bancaires sont souvent abordées et justifiées dans différents rapports et articles de journaux, …
Quant à celle de l’État, rarement évoquée, elle tiendrait seulement à une défaillance des mécanismes de contrôle. Or la prolifération des prêts toxiques serait du (en partie) à l’inaction de ce dernier :
Défaillance étatique
1) Compensation financière insuffisante:
Les ressources financières de l’État allouées aux collectivités territoriales suite à l’élargissement de leurs compétences ne prennent pas en compte :
  • ni l’inflation et la hausse des besoins, les années suivant le transfert ;
  • ni la pression plus grande exercée par les habitants sur les élus locaux ; ces derniers ne peuvent se contenter d’exécuter leurs fonctions comme l’exerçait l’État, sous peine d’être sanctionnés politiquement lors des élections locales.
Avec l’acte II de la décentralisation (en 2004), elles ont du trouver de nouvelles sources de financement. Après une période de désendettement de 1996 à 2002, elles recourent davantage aux prêts. Des entités locales généralement les plus pauvres, ont été séduites par cette nouvelle formule de crédit comprenant pour une durée déterminé un faible taux d’intérêt (atteignant parfois 0%), appelé période de bonification. Une fois celle-ci achevée, les taux d’intérêt ont explosé pouvant s’élever à 40%.
 2) Inexistence d’un cadre juridique en matière de prêt structuré:
 Le premier texte juridique est une circulaire du 25 juin 2010[5] prise après la découverte des prêts toxiques (2008). Cette absence de cadre :
  • n’a pas permis aux entités locales de connaitre les risques ;
  • a incité les banques à intervenir sur le secteur local pour faire un maximum de profit ;
Olivier Nys[6] raconte « qu’un banquier anglais, qui fabriquait des produits structurés pour le compte d’une banque française, est venu [le] voir car il était effrayé de ce qu’il vendait. "Les collectivités achètent vraiment cela ?", [lui] a-t-il demandé. Puis voyant qu’il y avait un marché en France, il a convaincu sa banque de les vendre pour son propre compte »[7].
 3) Une administration inerte bien qu’informée des risques:
 Pourtant l’administration centrale connaissait potentiellement les risques ; information démontré par Nicolas Cori et Catherine Le Gall[8], tous deux journalistes, dans leur ouvrage Dexia, une banque toxique. Un ancien responsable de la Direction générale des collectivités locales (DGCL) déclarait : « nous savons qu’il s’agissait de produits où il y a de l’asymétrie d’information, mais nous considérions que l’État n’avait aucun instrument juridique pour les contrôler. Nous n’avions pas de pouvoir à proprement parler, mais seulement une capacité d’influence. Nous avons donc dit aux banques : " ne déconnez pas trop." […] Qu’est-ce qu’on pouvait faire ? Nous étions écoutés dans les années 1990, mais dans les années 2000, il n’y avait plus rien à faire. C’était déjà sympa qu’ils viennent, on pouvait leur poser des questions »[9].
 4) Un contrôle inefficace des services étatiques:
 Les préfectures n’ont pu étudier les emprunts des collectivités en raison de leurs natures juridiques. Seul les actes et les contrats administratifs leurs sont transmis, or les prêts sont des contrats de droit privé.
Également les juridictions financières n’ont pas détecté d’anomalies durant les premières années de l’exécution du contrat, correspondant à la période de bonification du prêt.
 5) Obligations pour les collectivités de déposer leurs fonds libres au Trésor:
 Grâce à ces fonds l’État dispose de liquidité. Mais cette obligation pèse sur la relation entre les établissements de crédit et les collectivités. Ces dernières ne pouvant ouvrir un compte bancaire et donc leur apporter des liquidités, ils doivent ainsi mobiliser plus de fonds sur les marchés. Lorsque DCL institution bancaire historique du secteur local, fut concurrencée elle ne pouvait proposer des prêts classiques attractifs. Pour éviter la faillite, une des solutions adoptées a été de créer et de présenter des prêts structurés hautement spéculatifs.
Lors de la mise en œuvre du nouveau système de financement local aucune réflexion ne s’est portée sur cette obligation de dépôt des fonds libres au Trésor. Aujourd’hui avec les accords de Bâle III, les banques se sont retirées du secteur public local. Mais cette problématique se posera de nouveau le jour où la concurrence s’intensifiera.
 6) Délaissement de DCL:
 L’État privatise en 1987 l’organisme du crédit du secteur public local, devenu DCL. Cette souplesse et cette autonomie de gestion avait pour enjeu de permettre à cette institution de faire face aux exigences d’un marché de plus en plus concurrentiel, tout en répondant à l’accroissement des besoins de financement des entités locales[10].
Mais une fois libérée de l’emprise étatique, les objectifs évoluent : « être le numéro un mondial du financement des équipements collectifs et d’entrer d’ici cinq ans, parmi les trente premières banques mondiales en total de bilan » [11]. La stratégie adoptée était démesurée[12] :
  • les encours de crédits ont progressés de 60 à environ 400 milliards d’euros.
  • les offres de crédits aux collectivités locales autour de crédits structurés se sont intensifiées
  • les portefeuilles obligataires sont passés de 50 milliards d’euros à 225 milliards, soit 25 fois les fonds propres de la banque, contre une moyenne européenne de 4 à 5.
La crise de liquidité frappant le secteur bancaire en 2008, provoque l’effondrement de DCL. C’est à ce moment que l’État intervient : prise de participation à l’actionnariat 44% et garantie de ses prêts.
 L’État ne doit pas s’immiscer dans les affaires locales mais il doit conserver un rôle de conseil et d’alerte, c’est le principe constitutionnel de la libre administration.
La négligence de quelques élus locaux, le comportement abusif de certaines banques et la passivité des services étatiques sont les causes de ce scandale. L’État détenant aujourd’hui la plupart des prêts toxiques, ce coût de 17 milliards d’euros sera forcément assumé par les contribuables. La question était de savoir s’il devait être endossé par les nationaux ou par les locaux concernés. La loi du 29 juillet 2014 a tranché.
 Mathis R.
 [1] Loi n°2014-844 du 29 juillet 2014 relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public, JORF n°0174, p. 12 513.
Après le jugement du Tribunal de Grande Instance de Nanterre (TGI) du 8 février 2013. Le secteur bancaire devaient assumer le coût des prêts toxiques en raison de la substitution du taux effectif global (TEG) (pouvant atteindre 40%) par le taux d’intérêt légal (de 0,04% en 2013) pour défaut de mention ou caractère erroné du TEG sur les fax. Cette omission ou cette erreur touche l’ensemble des contrats de prêts structurés. Ainsi la rétroactivité de la loi du 29 juillet 2014 ne permet plus aux élus locaux de relever le défaut du TEG. Les banques sont ainsi déresponsabilisées. Les tribunaux considèrent les emprunteurs comme avertis, et rejettent les recours en annulation des contrats ou du taux fondé sur l’erreur, le dol, le non respect des obligations du prêteur, l’interdiction faite aux personnes publiques de conclure des opérations à caractère spéculatif.
[2] Le nom de prêt toxique est attribué uniquement aux emprunts structurés dont le taux d’intérêt est exorbitant. Contrairement aux emprunts dits classiques (prêt à taux fixe et prêt à taux variable), le souscripteur n’est pas exposé à des coûts financiers qui augmenteraient dans des proportions différentes que les taux de marché. Ce taux n’est pas fixé à un index standard (exemple : l’EURIBOR). L’indexation est fondée notamment sur des évolutions d’indices ou de valeurs économiques. Concrètement l’emprunteur et le prêteur font un pari. Exemple si durant l’exécution du prêt la valeur de l’euro est supérieure à 1,44 francs suisse, l’emprunteur paie un taux d’intérêt dérisoire. Inversement si la valeur de l’euro est inférieure à 1,44 francs suisse, l’emprunteur sera soumis à un taux d’intérêt élevé (pouvant atteindre 40%) calculé selon une formule très complexe prévu au contrat.
[3] Assemblée Nationale, Commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux, Rapport du 6 décembre 2011, n°4030.
[4] Cour des comptes, La gestion de la dette publique locale, Rapport public thématique, juillet 2011.
[5] Circulaire n°IOCB1015077C du 25 juin 2010 sur les produits financiers offerts aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics
[6] Olivier Nys est Directeur général des services de la commune de Reims et de la Communauté d’agglomération Reims métropole. Il a été : directeur général adjoint de la ville de Lyon, consultant du cabinet Michel Klopfer et directeur du secteur public d’un établissement bancaire.
[7] N. Cori & C. Le Gall, Dexia, une banque toxique, La découverte, 2013, p. 95.
[8] N. Cori est un journaliste économique à Libération et C. le Gall est une journaliste indépendante, spécialisée dans les sujets financiers et collabore avec La Gazette des Communes.
[9] N. Cori & C. Le Gall, Dexia, une banque toxique, La découverte, 2013, p. 142.
[10] Sénat, Transformation de la CAECL en société anonyme publique, Question écrite n° 06976 de M. Stéphane Bonduel, 1988, p. 655.
[11] N. Cori & C. Le Gall, Dexia, une banque toxique, La découverte, 2013, p. 24.
[12] Sénat, Rapport fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances rectificative, adopté par l’Assemblée Nationale, n°35, 2011, p. 8.

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