vendredi 14 mars 2014

Comprendre des emprunts toxiques

http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/03/13/tout-comprendre-des-emprunts-toxiques-en-10-questions_4381222_4355770.html

Tout comprendre des emprunts toxiques en 10 questions

Le Monde.fr    Mathilde Damgé 

1. Qu'est-ce qu'un emprunt « toxique » ?

C’est un emprunt qui prend la forme d'un produit structuré, c'est-à-dire composé de plusieurs briques, chacune étant changeante selon des conditions liées à l'évolution des marchés financiers. Concrètement, c'est un crédit combiné avec l'équivalent d'un droit d'acheter ou de vendre un titre financier (aussi bien une action qu'un contrat de livraison de blé), lequel fait évoluer le taux du crédit selon, par exemple, la parité du franc suisse et de l'euro.

En général, le produit structuré comporte une première période très attractive, suivie d'une deuxième partie plus coûteuse pour le souscripteur.

2. Quels risques font peser ces emprunts toxiques sur les communes aujourd'hui ?

Les communes qui croyaient faire de bonnes affaires et se retrouvent avec des taux d'intérêt de 30 % à 40 % sur certains emprunts sont forcées, pour certaines, de renégocier, là encore à prix fort, les conditions de ces emprunts, ou bien decontinuer à payer les intérêts en grevant les finances de la commune, ou encore d'arrêter de payer et d'entamer un contentieux avec la banque.
Une commune ne peut pas faire faillite : en cas de risque de défaut de paiement, le préfet peut prendre le contrôle des opérations et imposer des mesures drastiques, notamment des hausses d'impôt ou des réductions des dépenses publiques.

3. Tous les produits structurés sont-ils toxiques ?

Non, tout dépend de ce sur quoi le produit est indexé. Dans beaucoup de cas, le produit vendu reposait sur le pari que les taux restent à un certain niveau. Par exemple, les taux d'intérêt à court terme sont souvent inférieurs aux taux à long terme (sauf exception, comme un cas de forte tension sur le marché du crédit).
Mais, même les références réputées stables peuvent réserver des surprises.

4. Pourquoi des maires ont-ils eu recours à de tels produits ?

Pas forcément pour emprunter plus, mais pour bénéficier de taux qui étaient plus bas à ce moment-là. Le prix à payer était une part de risque, souvent mal comprise des élus. La plupart pensaient sincèrement obtenir des conditions avantageuses de façon durable pour donner plus de marge de manœuvre budgétaire à leur commune, à un moment où, par ailleurs, l'Etat leur donnait de plus en plus de responsabilités dans le cadre de la décentralisation.
Il faut ajouter que les commerciaux des banques savaient se montrer créatifs, en vendant des produits aux noms rassurants comme « Tofix » ou « Tip Top ».

5. Peut-on signer un contrat quand on ne le comprend pas ou mal ?

Il n'existe pas de texte législatif sur la capacité de celui qui ordonne le contrat à lecomprendre. Mais un élu se doit de savoir comment sa signature engage sa collectivité. Il peut d'ailleurs se faire aider du comptable et des services de la mairie, qui vont analyser la proposition de la banque.
De son côté, le commercial est tenu par une directive européenne (appelée Mif et transposée en droit français en 2007) d'évaluer deux critères : le client comprend-il le produit ? Et ce produit est-il adapté aux besoins du client ? La charte signée par les banques en 2008 reconnaît en outre les collectivités comme des clients non professionnels et engage, à ce titreses signataires à fournir des scénarios de « crash-tests » en français (et non en anglais, langue traditionnelle des contrats de banques internationales).

6. Est-ce légal de favoriser un produit spéculatif quand on gère des finances publiques ?

Ce n'est pas recommandé, mais en tout cas, ce n’est pas illégal. Une circulaire datant de 1992 interdit de vendre des produits spéculatifs aux collectivités, car la puissance publique estime que ce sont des opérations qui ne relèvent ni de leurs compétences ni de l'intérêt général.
Une interdiction qui épargne la notion de couverture des risques, c’est-à-dire l’achat d’un produit financier faisant le pari inverse de celui qu’on veut couvrirUne autre circulaire de 2010 confirme la nécessité de transparence sur le sujet mais n'interdit pas non plus la distribution de produits structurés.

7. Une ville ne devrait-elle emprunter qu'à taux fixe ?

Pas forcément ; les produits à taux variables sont plus intéressants aujourd'hui (ils sont consultables sur le site de la Banque de France) par rapport aux taux fixes du marché. En gros, une commune ne prend pas de risque à continuer d'emprunter à taux variables, à condition que ce produit ne soit pas assorti à une structure spéculative, dont il est assez onéreux de sortir en général.

8. Ma ville est-elle concernée ?

Il y a des chances non négligeables : les collectivités représentent entre 41 et 47 % de la totalité des emprunts à risque publics, d'après un rapport du Sénat. Les situations qui apparaissent problématiques se concentrent sur un nombre limité de collectivités territoriales, plus spécifiquement sur les communes de plus de 10 000 habitants.
Certaines communes ont trouvé une astuce : se délester des produits à risque dans les budgets des communautés d'agglomération, comme à Lille (avec Lillemétropole communauté urbaine), ou dans d'autres organismes, comme le Syndicat intercommunal pour la destruction des résidus urbains (Sidru) de Saint-Germain-en-Laye.
Selon la dernière enquête du cabinet spécialisé dans l’audit des finances locales FCL-Gérer la Cité, enquête qui date de 2011, les produits structurés représenteraient environ 15 % de l'encours de la dette des collectivités locales.

9. Comment l'Etat a-t-il réagi ?

En octobre 2011, a été mise en place une cellule interministérielle de suivi des emprunts à risque du secteur local, qui réunit, chaque trimestre, des représentants des différentes administrations concernées.
Ce dispositif a été renforcé par la création de cellules départementales de suivi de la dette autour du préfet et du directeur régional ou départemental des finances publiques. Mais, dans de nombreux départements, la cellule n'a pas été activée (comme en Côte-d'Or) ou les mairies semblent ignorer tout de son existence (comme c'est le cas à Asnières, dans les Hauts-de-Seine).
Un médiateur pour les emprunts toxiques, Eric Gissler, inspecteur général des finances, a aussi été nommé en 2009. Son utilité semble avoir été assez limitée car le fait d'être dans un processus de médiation bloque la possibilité de recours au contentieux.

10. Que va-t-il se passer maintenant ?

Outre le taux, il est également intéressant d'avoir le détail des échéances de ces contrats, dont plusieurs ont été repoussées par les maires en place à 2014 et 2015, soit après les élections municipales.
Les années qui viennent vont être éprouvantes pour les nerfs des nouveaux élus. Le département de Seine-Saint-Denis et la ville de Saint-Etienne ont obtenu enjustice une renégociation de la dette. Une centaine de contentieux a déjà été portée devant les tribunaux. Mais est-ce une solution pérenne ? L'Etat est garant des prêts de Dexia, qu'il a sauvé de la faillite. Or, Dexia représenterait deux tiers du marché des emprunts toxiques des communes. Il est d'ailleurs assez ironique, à ce titre, de constater que trois des banques les plus impliquées dans ce scandale des emprunts toxiques sont trois entreprises qui ont été sauvées par leurs Etats : la franco-belge Dexia, la britannique RBS et l'allemande Depfa. En somme, après avoir couru au secours des « responsables », les banques, l'Etat vient en aide aux « victimes », les collectivités locales.

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