samedi 15 mars 2014

Emprunts toxiques : « Les élus étaient tellement confiants »

http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/03/14/emprunts-toxiques-les-elus-etaient-tellement-confiants_4382124_4355770.html

Ancien cadre de banque, Emmanuel Fruchard est le coanimateur du siteemprunttoxique.info. Il s'est concentré sur les produits qu'il juge les plus risqués (ceux qui parient sur les devises), calculant le surcoût réel pour les collectivités dont il a réussi à obtenir le détail des contrats. Un tour de force qui sert aujourd'hui d'exemple à tous les militants pro-transparence et anti-emprunts toxiques.Conseiller municipal PS (d'opposition) à Saint-Germain-en-Laye, dans les Yvelines, il tente d'alerter ses concitoyens sur les risques pris par le syndicat des ordures de sa ville. 
Comment vous êtes-vous intéressé aux emprunts toxiques de votre ville ?
Emmanuel Fruchard : Quand j'étais au Crédit lyonnais, j'étais structureur de swaps [concepteur d'un type de produit financier conçu pour gérer le risque des investissements]. Ce n'est pas l'instrument qui est mauvais, mais l'usage qui en a été fait.
En préparant les municipales de 2008, avec le PS, on s'est réparti les rapports annuels des syndicats et moi, j'ai eu les déchets. J'ai vu que le syndicat (Sidru, Syndicat intercommunal pour la destruction des résidus urbains) avait traité des swaps à formule pour réduire le coût de sa dette. Cela m'a fait bondir, car je n'avais vu ça qu'en gestion d'actifs dynamique, c'est-à-dire de la spéculation avec effet de levier [avec un effet multiplicateur qui amplifie les gains ou les pertes].

On a mis des mois à avoir les contrats. Le maire a essayé de nous balader, mais nous avons fini par les avoir, de façon complète, à l'été 2007. On a fait, à la rentrée, un mailing alertant sur le risque important qui était pris (il y avait une chance sur trois que le Sidru paie un taux supérieur à 30 %) aux quinze maires du syndicat en proposant de venir leur expliquer : aucun n'a proposé qu'on aille lesvoir.

Pourquoi les élus ont-ils choisi de contracter une dette structurée ?
Le coût de l'incinérateur mis en place à la fin des années 1990 était très élevé ; il est surdimensionné par rapport au nombre d'habitants. Les comptes étaient toujours déséquilibrés donc il fallait, selon Emmanuel Lamy [maire UMP depuis 1999], soit jouer [accepter de faire un pari spéculatif sur un produit financier], soitaugmenter la taxe sur les ordures ménagères. Plusieurs maires étaient tout à fait contre cette dernière option.
Ensuite, le « pourquoi des contrats », c'est de l'information « molle » : un citoyen peut obtenir les contrats, mais pas les mails échangés entre les commerciaux et les responsables de la collectivité.
Ils étaient tellement confiants que certaines dates d'échéance des contrats tombaient pile l'année des municipales [2008]. Et pour une certaine génération, ils ne voyaient pas le franc suisse au dessus du dollar [jusqu'en 2010, il fallait moins d'un dollar pour un franc suisse, il faut désormais plus d'un dollar pour obtenir un franc suisse].
En tant que candidats d'opposition, on a interpellé Emmanuel Lamy, le maire, qui était aussi le président du Sidru, avec un deuxième mailing, en novembre 2007, en mettant le préfet et la Chambre régionale des comptes en copie. Le président du Sidru a répondu qu'il n'y avait aucun risque, qu'ils faisaient comme à Rouen et à Saint-Etienne.
On a alerté nos interlocuteurs socialistes dans ces villes : à Saint-Etienne, on n'a pas eu de réponse intéressée de la part de l'adjoint aux finances ; à Rouen, un fonctionnaire territorial nous a affirmé que si la formule était perdante, ils changeaient de formule... Au bout de quarante-cinq minutes de discussion, il a ouvert les yeux et compris que la ville y perdait à chaque fois davantage avec des pénalités et des échéances plus longues.
On a continué l'enquête en Ile-de-France. Dans les Yvelines, on s'est rendu compte qu'il y en avait à Mantes, Plaisir, Rambouillet... Dans les Hauts-de-Seine, à Rueil-Malmaison, Châtillon...
Qu'est-ce qui vous a révolté dans ce scandale ?
La perte n'était pas encore prise en 2007 : les gens pouvaient encore annuler leur emprunts sans trop de perte. Cette crise a été en dominos successifs : la tension sur le crédit avec les subprimes, le défaut de Lehman en 2008. Les cours de changes ont varié plus tard, en 2010.
La grosse erreur du Sidru est d'avoir pris des formules non capées [sans plafond]sur le change. Ces contrats étaient contraires à la circulaire de 1992 mais ils ont voulu prendre encore plus de risques.
Aujourd'hui, le maire Emmanuel Lamy, qui se représente, dit que la ville n'a plus aucun emprunt toxique. La ville peut-être, le Sidru si. Et c'est ce que dit aussi le rapport de la chambre régionale des comptes.
Sur tout le territoire, certaines chambres régionales des comptes ont tu le sujet, soit parce que les magistrats étaient de la vieille école et avaient peur de dire des bêtises sur des sujets nouveaux et complexes, soit parce qu'ils ont contribué, à un moment de leur carrière de fonctionnaire territorial, dans des choix de gestion impliquant ces mêmes produits.

Concernant Villeneuve c'est en 2007 et début 2008 que ces emprunts ont été souscrits.
Alors que déjà les risques étaient connus et dénoncés, les pas de Gérard Bouisson ne furent pas bien assurés !


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