lundi 28 septembre 2015

Jugement Saint-Cast-Le-Guildo contre Dexia sur les emprunts toxiques :

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Jugement Saint-Cast-Le-Guildo contre Dexia sur les emprunts toxiques : on ne s’emballe pas !

Victoire de David sur Goliath, le jugement du TGI de Nanterre dans l’affaire qui opposait Saint-Cast-Le-Guildo à Dexia et à la SFIL sur les emprunts toxiques ? Victoire certes, mais bien des éléments laissent perplexes. Une certitude : ce jugement de première instance ne peut pas servir d'étalon. Tout porte donc à modérer son enthousiasme.
Largement commenté par la presse, le jugement du 26 juin 2015 prononcé par le tribunal de grande instance de Nanterre dans un litige sur les emprunts toxiques opposant la commune Saint-Cast-Le-Guildo à Dexia Crédit Local et à la Caisse française de financement local est souvent présenté comme la victoire de David sur Goliath. Il est vrai que cette décision, rendue à propos d’un prêt structuré « Tofix Dual EUR-CHF (1)» met fin aux rumeurs selon lesquelles les chances de succès des emprunteurs étaient nulles depuis la promulgation de la loi dite de « validation » du 29 juillet 2014(2).
Il s’agit du reste de la première condamnation de Dexia à raison des agissements documentés par la commission d’enquête parlementaire présidée par Claude Bartolone (3). De ce point de vue, on observe une évolution de la position du TGI de Nanterre sur les emprunts toxiques : alors qu’aucun manquement contractuel n’était constaté dans les premières décisions de 2013 (4), le juge relève en avril 2015 un manquement à une obligation de mise en garde sans pour autant sanctionner (5) et, enfin, condamne aujourd’hui.
Cette décision met fin aux rumeurs selon lesquelles les chances de succès des emprunteurs étaient nulles depuis la promulgation de la loi de validation de juillet 2014.

On note une progression (6) dans l’appréciation par le juge de la nature financière des produits en cause et dans la qualification des techniques commerciales déployées par Dexia pour admettre que celles-ci confinent au dol et justifient ainsi l’attribution de dommages et intérêts. Cela étant, cette décision reste à bien des égards décevante, et présente de réelles faiblesses.
  
Un jugement sur les emprunts toxiques à prendre avec du recul

Un jugement de première instance ne peut pas servir d’étalon, même dans l’hypothèse d’un contentieux massif comme celui des emprunts toxiques. Aussi, si Saint-Cast-Le-Guildo a obtenu à titre de dédommagement 50% des surcoûts d’intérêt, rappelons que la commune de Carrières-sur-Seine n’a pas – pour des faits similaires – été indemnisée.
Plusieurs arguments supplémentaires auraient pu être suggérés au juge.
La commune n’a par exemple pas demandé à ce que la loi de « validation » des emprunts toxiques soit écartée, alors même que de nombreux auteurs doutent de sa conformité à des traités internationaux, au premier rang desquels la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (7).
La commune n’a par exemple pas demandé à ce que la loi de « validation » des emprunts toxiques soit écartée, alors même que de nombreux auteurs doutent de sa conformité à des traités internationaux.

On relèvera que Saint-Cast-Le-Guildo n’est pas la première collectivité à ne pas présenter cet argument qui semble pourtant essentiel. Il en était effectivement de même pour Saint-Maur-des-Fossés dans l’affaire l’opposant au Crédit foncier de France (8). Et dans l’affaire Carrières-sur-Seine, l’argument n’a pas été discuté (9). Au résultat, la question de la conventionnalité de la loi de validation reste en suspens.

La commune, emprunteur non professionnel

Surtout, la commune n’a pas contesté le taux conventionnel à raison de la base de calcul utilisée par Dexia, l’année « bancaire » de 360 jours. On sait pourtant depuis un arrêt de la Cour de cassation du 19 juin 2013 que le taux de l’intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l’acte de prêt consenti à un consommateur ou à un non-professionnel doit être calculé sur la base de l’année civile, et non sur la base d’une année de 360 jours (10). Cet argument avait ainsi toutes les chances de prospérer : il n’est pas soumis à la loi de validation (11) sur les emprunts toxiques et le TGI de Nanterre a reconnu qu’il n’est pas « établi que la commune puisse être regardée comme professionnelle ».
La commune n’a pas contesté le taux conventionnel à raison de la base de calcul utilisée par Dexia, l’année « bancaire » de 360 jours.

En conséquence, si la ville s’était saisie de ce raisonnement, elle aurait a priori pu obtenir l’annulation du taux conventionnel pour que seul subsiste le taux légal, soit 0,99% pour le second semestre 2015(12) (la sanction de la stipulation d’un taux en base exact/360 par un emprunteur non professionnel étant la même que celle encourue en cas d’omission du TEG).
 Le TGI de Nanterre progresse dans son appréhension des emprunts toxiques : le jugement Saint-Cast semble ainsi constituer une étape, la position du juge restant encore très perfectible.

Le jugement viole la jurisprudence de la cour d’appel de Versailles

En premier lieu, en contrariété avec la position de sa cour de contrôle, la cour d’appel de Versailles, le TGI de Nanterre refuse de rechercher la responsabilité des banques sur le fondement des règles applicables aux prestataires de services d’investissement (13). La thèse avancée par le tribunal est déconcertante, celui-ci admettant la présence d’un emprunt et d’instruments financiers dérivés dans le contrat, pour ensuite réfuter l’application des règles applicables aux instruments financiers à terme. Cette solution est d’autant plus gênante à nos yeux que le juge a le devoir de rendre leur véritable qualification aux contrats (14). Aussi, cet aspect semble particulièrement fragile.
 En deuxième lieu, le taux d’indemnisation de 50% semble inférieur à ce qu’il devrait être dans la mesure où il repose sur la violation d’un seul corps de règles – à savoir les règles applicables aux opérations de crédit – sans prendre en compte les dispositions propres aux produits dérivés, qu’ils soient autonomes ou incorporés. L’application de ces dispositions devrait mécaniquement avoir pour effet une augmentation du taux d’indemnisation. En particulier, le juge relève un devoir de conseil à la charge du prestataire de services d’investissement sans en tenir compte au cas particulier. Il semble pourtant, à la lecture du jugement, que la banque se soit comportée comme le conseil de la ville.
Le taux d’indemnisation de 50% semble inférieur à ce qu’il devrait être dans la mesure où il repose sur violation des règles applicables aux opérations de crédit.
En troisième lieu, la méthode d’évaluation du préjudice manque de cohérence et semble devoir être réformée en appel. Effectivement, après avoir constaté que le préjudice de la commune s’analyse en la perte de chance de ne pas avoir conclu le contrat, le tribunal limite l’indemnisation aux « pertes avérées », i.e. le surplus d’intérêts auquel la commune a été exposée en comparaison du coût qu’elle aurait dû assumer en l’absence de dégradation du taux. Ce raisonnement n’est toutefois pas tenable :
- si le préjudice s’analyse en la perte de chance de ne pas avoir conclu, aucune référence au « taux bonifié » ne doit être faite, ce « taux bonifié » résultant de la structuration contestée ;
- le juge analysant les intérêts à venir comme un « préjudice éventuel », il refuse de l’indemniser, de sorte que les emprunteurs ont intérêt à retarder la décision du juge pour obtenir une indemnisation plus importante. C’est l’entier préjudice financier qui doit être indemnisé (passé + futur), et non seulement une fraction. En exigeant que le risque se soit « réalisé » le juge prend une position intenable puisqu’il consacre une différence de traitement entre les collectivités qui ont résilié le contrat en payant les IRA (risque réalisé) et celles qui n’ont pas pu ou n’ont pas voulu payer les IRA pour mettre fin au contrat (risque non réalisé, suivant le raisonnement du juge). À noter : la cour d’appel de Paris a déjà jugé (15) que la valorisation d’un contrat (16) peut être un élément du préjudice indemnisable : sur ce point, le TGI méconnaît donc une autre décision de cour d’appel.

Un jugement de première instance insusceptible de fonder une décision de gestion

Il s’agit en définitive d’un jugement d’une qualité contestable qui concerne un « cas d’espèce », celui de la commune de Saint-Cast-Le-Guildo, et l’argumentaire présenté par celle-ci au TGI de Nanterre. À cet égard, ce jugement ne saurait en aucun cas servir d’étalon à des décideurs publics pour s’orienter vers le contentieux ou choisir la voie du fonds de soutien institué par l’article 92 de la loi de finances pour 2014 (17).

Notes

(01)
Dont le taux d’intérêt est fonction de l’évolution du cours de change euro/franc suisse (EUR/CHF). -
(02)
Loi n° 2014-844 du 29 juillet 2014 relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public. 
(03)
Commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux, 2011. 
(04)
TGI Nanterre, 8 février 2013, n° 11/03778, n° 11/03779 et n° 11/03780.
(05)
TGI Nanterre, 24 avril 2015, n° 11/12631. 
(06)
Laquelle reste à parfaire, cf. notamment les développements du tribunal relatifs à l’utilisation par Dexia du concept de « valeur refuge » (contre-sens) ou encore de la description de l’effet de levier emporté par le contrat.
(07)
J. Moreau, O. Poindron et B. Wertenschlag, Emprunts toxiques et loi de validation : une impression de « déjà vu », La Lettre du cadre territorial, juin-juillet 2014, n° 479, p. 66 ; D. Da Palma, M.-A. Houcke,La sécurisation des emprunts structurés souscrits par les personnes morales de droit public, JCP A, n° 49, 8 décembre 2014.
(08)
TGI Paris, 12 mai 2015, n° 12/09334. 
(09)
Cf. TGI Nanterre, 24 avril 2015, n° 11/12631, extrait : « compte tenu du vote de la loi [de validation] du 29 juillet 2014 ». 
(10)
Civ. 1re, 19 juin 2013, n° 12-16651 ; commentaire par J. Moreau, O. Poindron et B. Wertenschlag,Taux d’intérêt conventionnels calculés sur la base de l’année bancaire : le début de la fin ?, Dalloz AJDI, novembre 2013, n° 11, p. 770. 
(11)
[1] J. Moreau, O. Poindron et B. Wertenschlag, Emprunts toxiques : le taux légal (n’)est (pas) mort, vive le taux légal !, La Semaine juridique administrations et collectivités territoriales (JCP A), 8 décembre 2014, n° 49, 2338. 
(12)
Arrêté du 24 juin 2015 relatif à la fixation du taux de l’intérêt légal. 
(13)
CA Versailles, 23 janvier 2014, n° 12/07118. La cour d’appel de Versailles a jugé que les prêts structurés sont soumis aux dispositions applicables aux instruments financiers à terme (i.e. aux produits dérivés), et non seulement aux dispositions applicables aux prêts.
(14)
Article 12 du Code de procédure civile. 
(15)
CA Paris, 13 mars 2014, n° 12/11164.
(16)
Correspondant aux IRA, ou à la « soulte » de résiliation. 
(17)
À noter, le taux actuel maximum n’est que de 45%. Il conviendra d’attendre de connaître le sort de la loi NOTRe pour savoir si ce taux d’aide sera effectivement revu à la hausse. 




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