samedi 28 septembre 2013

Emprunts toxiques : Quand l'état sacrifie les collectivités...

Quand l'état sacrifie les collectivités à son profit et au profit des banques...

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Emprunts toxiques : quand l'État se protège sur le dos des collectivités locales

Le Point.fr - Publié le 27/09/2013 à 17:22 - Modifié le 27/09/2013 à 17:43

L'État va valider rétroactivement des prêts bancaires litigieux, malgré l'absence de la mention - obligatoire - du taux d'intérêt effectif global

L'État joue-t-il vraiment franc jeu avec les collectivités locales plombées par des emprunts toxiques ? Sous le couvert de les aider à rembourser leurs "emprunts structurés", ces prêts indexés sur des paramètres complexes de marchés qu'elles ont parfois souscrits, l'article 60 du budget 2014 leur met la pression pour qu'elles payent leur dû.

Pour les amadouer, Bercy agite d'abord une "carotte" : un fonds de soutien de 100 millions d'euros par an pendant une durée maximale de 15 ans, financé pour moitié sur les crédits de l'État et pour l'autre moitié par une augmentation de la taxe systémique (1) imposée aux banques.

"Un chantage complet" (maître Hélène Feron-Poloni)

Mais il manie surtout le bâton. Pour pouvoir bénéficier de cette aide, les collectivités devront "préalablement conclure une transaction sur l'ensemble des emprunts structurés et instruments financiers" potentiellement dangereux avec la banque concernée. En clair, renoncer à contester leur(s) contrat(s) de prêts litigieux.

"Les collectivités vont être mises devant un choix impossible à faire.
Elles vont devoir renoncer à aller en justice ou à un procès en cours pour une aide hypothétique dans son principe et dans sa durée", s'indigne maître Hélène Feron-Poloni, spécialisée dans les litiges opposant des clients de banque et les établissements financiers au cabinet Lecoq-Vallon & Feron-Poloni. Le projet de loi prévoit en effet que le montant de l'aide sera décidé conjointement par le ministre du Budget et le ministre des Collectivités locales. Leur décision n'interviendra qu'une fois l'accord conclu avec l'établissement de crédit. Quant aux critères et conditions d'octroi de l'aide, ils sont renvoyés à un futur décret. Le délai imposé aux collectivités est par ailleurs serré : l'État leur demande de faire leur choix avant le 15 mars 2015. Faute de quoi, il sera trop tard pour bénéficier du soutien du fonds. Et ce, alors même que certains prêts structurés pourraient se révéler toxiques bien plus tard, puisque les taux sont indexés sur différentes variables de marché complexes. Conclusion d'Hélène Feron-Poloni : "C'est un chantage complet."

L'État défend ses propres intérêts

Le dilemme sera d'autant plus cornélien pour les collectivités qu'un jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 8 février leur est largement favorable. Saisie sur le caractère abusif de prêts conçus par Dexia au début des années 90, la juridiction a annulé les taux d'intérêt de trois contrats de prêts au motif qu'ils ne comportaient pas la mention - obligatoire - du taux effectif global (TEG, le taux d'intérêt tout compris, une fois inclus les frais obligatoires, frais de dossier, assurances, et autres frais annexes...). Et leur a substitué un "taux d'intérêt légal", très faible de 0,71 % en 2012 et encore plus bas aujourd'hui.

Pourquoi l'État veut-il à tout prix obliger les collectivités à respecter leur contrat de prêt litigieux ? Pour Hélène Feron-Poloni, il ne fait que protéger ses propres intérêts. En tant que garant de Dexia depuis la chute de la banque franco-belge des collectivités locales en 2010, la décision du TGI de Nanterre fait peser sur ses finances un risque considérable. Bercy ne s'en cache d'ailleurs pas. Dans l'exposé des motifs de l'article 60 du PLF, il s'inquiète d'un triplement, entre début février et début septembre, des assignations de la SFIL, la nouvelle structure créée dans le cadre du démantèlement de la banque des collectivités locales, dont il est actionnaire à 75 %. Elle serait confrontée à 196 contentieux. Quant à Dexia SA, dont l'État détient 44 %, elle est confrontée à 54 cas similaires ! Or, ces deux établissements "détiennent à leur bilan une part très significative de crédits conclus conformément au processus sanctionné par cette jurisprudence", reconnaît l'État. Un risque potentiel de plusieurs milliards d'euros pour les finances publiques.

Les intérêts des emprunteurs lésés ?

Pour être bien sûr d'écarter tout risque potentiel, l'article 60 du PLF 2014 prévoit par ailleurs la validation rétroactive des contrats de prêt et des avenants aux contrats de prêt conclus entre des "personnes morales" et des "établissements de crédit", lorsqu'ils sont contestés pour défaut de mention du fameux taux d'intérêt effectif global. "Les personnes morales, cela vise non seulement les collectivités, mais aussi les sociétés, petites ou grosses, et les particuliers eux-mêmes qui peuvent être concernés lorsqu'ils s'endettent via des sociétés civiles immobilières (SCI)", décrypte Hélène Feron-Poloni. Ces derniers ne bénéficieront donc plus de la protection que les textes leur apportaient jusqu'ici. "Cette loi de validation a pour objet de supprimer le droit des emprunteurs à être informés du TEG de leurs prêts. C'est une loi spoliatrice : pendant des années, des banques n'ont pas respecté leurs obligations d'informations dans les contrats de prêt."

Très remontée, l'avocate dénonce un véritable texte "de droite, initié par un gouvernement de gauche, tout ça pour sauver les opérations de restructuration de Dexia". D'autant que le Code de la consommation sera lui aussi modifié dans un sens plus favorable aux établissements financiers, lorsque le taux effectif global aura été sous-estimé.

Risques pour le système bancaire ?

Dans son exposé des motifs, Bercy justifie cette décision par le risque potentiel représenté par la jurisprudence du TGI de Nanterre pour toutes les banques, si elle devait être généralisée. "Certains établissements bancaires présentent en effet un risque de perte susceptible de mettre en péril leur respect des normes de solvabilité."

Interrogée sur la réalité de cette assertion, la Fédération bancaire française (FBF) n'a pas souhaité commenter à ce stade. Elle se borne à rappeler que le gouverneur de la banque de France atteste la solidité des banques françaises qui ont considérablement renforcé leurs fonds propres depuis le début de la crise.

Elle a en tout cas combattu l'alourdissement de la taxe systémique jusqu'au bout, allant même jusqu'à écrire une lettre au ministre de l'Économie pour faire valoir ses arguments. Elle estimait qu'un fonds de soutien n'avait pas de justification "alors que le processus de résolution bilatérale entre banques concernées et collectivités locales se poursuit activement" et qu'elles consentent déjà de gros efforts lors de ces négociations. Selon Le Monde, qui avait révélé ce courrier, la FBF estimait également qu'une taxe "ne bénéficierait en fait qu'à une activité en extinction, celle de Dexia, au détriment du reste du secteur bancaire", alors que la part des établissements sur le marché des collectivités locales est très inégale.

Pour Hélène Feron-Poloni, les banques ont "visiblement obtenu des gages pour participer au fonds de soutien, puisque la modification est applicable à tous les contrats de prêt".

Une disposition illégale ?

Mais l'avocate conteste la conformité de cette validation rétroactive de contrats de prêt litigieux avec le droit européen. Et invoque une précédente décision de la Cour européenne de justice. En 2006, l'institution avait condamné la France après que l'État avait fait valider rétroactivement en 1996 des prêts pour lesquels les banques n'avaient pas respecté leur obligation de mentionner la part de capital remboursée à chaque échéance par rapport à la part des intérêts.

Selon elle, le motif de menace de survie des banques ou de déséquilibres de l'ensemble de l'économie, qui pourrait être invoqué pour justifier la validation rétroactive, ne tient pas : "Les banques ne peuvent pas se prévaloir d'un risque systémique si elles n'ont pas appliqué les textes qui auraient pu les prémunir contre ces risques systémiques."

Selon Hélène Feron-Poloni, les autorités sont parfaitement conscientes de ce risque judiciaire, mais "elles s'en moquent complètement, parce que cela n'arrivera pas devant la Cour de justice des communautés européennes avant dix ans".

(1) La taxe systémique a été créée par la loi de finances pour 2011. Elle est applicable aux banques supervisées et elle est censée prévenir les risques excessifs.

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