jeudi 3 octobre 2013

Les contentieux sur les emprunts toxiques aux collectivités locales enflent

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EMPRUNTS TOXIQUES
Alors que les contentieux sur les emprunts toxiques aux collectivités locales enflent, le gouvernement propose un remède. Mais le dispositif, fait pour protéger l’État et les banques, risque de priver les collectivités locales de tout recours juridique face aux banques. Inacceptable pour les élus.

« Un marché de dupes. » Une semaine après avoir découvert le projet de loi pour aider les collectivités locales confrontées aux emprunts toxiques, les élus ne cachent pas leur déception. Réunis au sein de l’association acteurs publics contre les emprunts toxiques, ils ont fait la première analyse du texte présenté par le gouvernement dans le cadre du projet de loi de finances 2014. Et pour eux, le compte n’y est pas : « C’est la première fois que le gouvernement affiche une volonté de traiter le dossier, ce qu’il convient de saluer. Mais les dispositions prévues soulèvent des inquiétudes et des questions. L’État dans cette affaire est en position de juge et partie », explique Maurice Vincent, sénateur-maire de Saint-Étienne et président de l’association. L’enjeu est lourd : environ 1 500 collectivités locales et établissements publics sont concernés par les emprunts toxiques. L’addition pourrait s’élever entre 10 et 15 milliards d’euros. Plus de 300 contentieux sont en cours touchant principalement Dexia, mais aussi le Crédit agricole, la Société générale, Royal bank of Scotland… Dans cette affaire, la question de savoir où se place l’État se pose à chaque instant. Est-il le garant de l’ordre général ? Le soutien des collectivités locales ? Ou l’actionnaire de Dexia, la banque la plus exposée aux emprunts toxiques, qu’il a dû sauver en catastrophe de la faillite ? À lire le projet de loi, l’impression nette se dégage que le gouvernement, inquiet des risques pesant sur Dexia, qui a déjà coûté 6,6 milliards d’euros aux finances publiques, ait cherché à limiter la casse, en rédigeant un texte qui va faire le bonheur du monde bancaire. L’article 60 du projet de loi de finances prévoit en effet la création d’un fonds doté de 100 millions d’euros sur une durée de quinze ans afin d’aider les collectivités locales et les autres établissements publics à rembourser leurs prêts toxiques par anticipation. L’État se propose d’apporter la moitié des sommes, le reste étant abondé par le biais de la taxe systémique payée par les banques, qui doit être relevée. Comment ont été calculées ces sommes ? Sont-elles suffisantes pour aider les communes qui se voient parfois demander l’équivalent du capital à rembourser au titre d’indemnités pour remboursement anticipé ? Mystère. « Je fais confiance à la qualité des hauts fonctionnaires de Bercy », dit très diplomatiquement Maurice Vincent. Mais ce n’est qu’une toute petite partie du problème. Pour avoir droit à ces aides, les collectivités locales doivent au préalable avoir conclu un accord transactionnel avec la banque portant sur l’ensemble des prêts structurés et toxiques en cause et renoncer à tous les contentieux. Tout ceci doit être fait avant le 15 mars 2015. Ce n’est qu’après que les collectivités locales sauront si, et à quelles conditions, elles pourront être éligibles au fonds. Les modalités étant fixées par un décret ultérieur, dont tous ignorent le détail, le ministre des finances et le ministre des collectivités locales étant les seuls arbitres des choix. Un dispositif digne de la technostructure de Bercy, préoccupée de ses seuls intérêts et qui ignore complètement les réalités, accusent les élus. « Cet article 60 nous met une pression pour que nous payions et nous nous taisions. C’est un chantage complet. On nous demande de renoncer à contester tous nos emprunts litigieux et à toute action en justice en contrepartie d’une aide hypothétique, alors qu’aucune assurance n’a été apportée ni sur le principe de ce fonds, sur son montant et sa durée », réagit Noël Segura, maire divers gauche de Villeneuve-les-Maguelone (Hérault). Élu en 2008, il doit gérer un emprunt toxique dont le seul remboursement anticipé avec les pénalités coûterait aux finances de la commune plus de 4 millions d’euros, alors que le budget total ne dépasse pas les 9 millions. Le député et maire socialiste d’Asnières, Sébastien Pietrasanta, souligne lui combien le fait de renoncer à tout recours juridique en contrepartie de cette aide peut être dangereux pour les finances publiques locales. « J’ai des emprunts qui sont indexés sur un indice de la banque publique des collectivités locales américaines. Pour l’instant, tout va bien. Mais comment puis-je savoir l'évolution à l’avenir ? Comment renoncer par avance à tout moyen juridique », souligne-t-il. D’autres élus insistent sur la complexité des dossiers. Pour eux, une négociation globale est inenvisageable, c’est ligne à ligne, prêt par prêt, qu’il faut mener les renégociations. Désarmement unilatéral La colère des élus face à ce qui leur paraît être un désarmement unilatéral et sans condition est d’autant plus grande que le gouvernement a prévu de priver les collectivités locales des moyens juridiques sur lesquels ils pourraient s’appuyer. Le projet de loi prévoit de valider de façon rétroactive les contrats de prêt et des avenants aux contrats de prêt conclus avant la loi entre une personne morale et un établissement de crédit, lorsque ces prêts sont contestés pour défaut de mention du taux d’intérêt effectif global (TEG). Or c’est la seule arme dont disposent actuellement les collectivités locales face aux banques dans la contestation des prêts toxiques : tous les autres motifs (défaut de conseil, taux usuraires, imprévisibilité des frais…) n’ont pas été retenus par les tribunaux. Dans un jugement du 8 février, le tribunal de grande instance de Nanterre a annulé les taux d’intérêt de trois contrats de prêts toxiques consentis par Dexia au département de la Seine Saint-Denis, au motif que le taux effectif global – qui doit synthétiser les frais financiers, mais aussi les frais d’assurance et les frais de dossier afin de faire apparaître le vrai coût du crédit – n’avait pas été signifié sur le contrat. À la place, le tribunal de grande instance leur a substitué le taux d’intérêt en vigueur de 0,71 %. Depuis ce jugement, c’est le branle-bas de combat dans le monde bancaire, qui craint de voir fleurir une multitude de contentieux, faute d’avoir respecté ses obligations d’information. Les banquiers ont trouvé des oreilles tout à fait attentives à Bercy, soucieux de l’intérêt des banques mais aussi des siens, en raison de Dexia. Le gouvernement ne s’en cache même pas. Dans l’exposé de ces motifs, il écrit : « Cette décision (du TGI de Nanterre), bien que non définitive dans la mesure où elle fait l’objet d’un appel, a déjà conduit à un accroissement important du nombre de contentieux à l’encontre d’établissements de crédit (début septembre 2013, au total, SFIL faisait l’objet de 196 assignations et Dexia 54, soit un triplement depuis le 8 février 2013). (…) Ces assignations visent, pour une majorité d’entre elles, un défaut de mention du TEG, pour d’autres, une stipulation erronée du TEG, et parfois ces deux motifs en même temps. La décision fait donc naître un risque très significatif pour l’ensemble des établissements de crédit ayant utilisé des documents précontractuels pouvant présenter des caractéristiques identiques ou comparables de celles sanctionnées par le juge en première instance, particulièrement dans le cas de contrats portant sur des produits structurés. Certains établissements bancaires présentent en effet un risque de perte susceptible de mettre en péril leur respect des normes de solvabilité. De plus, cette jurisprudence fait peser un risque majeur sur les finances publiques, dans la mesure où l’État est actionnaire à 75 % de la Société de financement local (SFIL) et à 44 % de Dexia SA qui détiennent à leur bilan une part très significative de crédits conclus conformément au processus sanctionné par cette jurisprudence. » Au nom des banques et des finances publiques, il est donc urgent de revenir de manière rétroactive sur ces jugements. « Il n’est pas admissible que l’État intervienne dans des procédures judicaires en cours », tonne Maurice Vincent. Pour certains élus, cette disposition n’est même pas envisageable : elle est tout simplement anticonstitutionnelle. C’est la lecture qu’en a l’avocat Christophe Leguevaques, qui représente certaines communes prises dans des emprunts toxiques : « Ce dispositif est une atteinte à la sécurité juridique. Il n’est pas possible de décider de façon rétroactive de modifier des contrats. De plus, alors qu’il y a des procédures en cours, ce projet méconnaît le principe de la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire, qui est un principe constitutionnel. » Le texte, insiste de son côté l’avocate Hélène Feron-Poloni, citée par le Point, aurait une portée bien plus grande que celle des seules collectivités prises dans les emprunts toxiques. « Les personnes morales, cela vise non seulement les collectivités, mais aussi les sociétés, petites ou grosses, et les particuliers eux-mêmes qui peuvent être concernés lorsqu'ils s'endettent via des sociétés civiles immobilières (SCI) », explique-t-elle. « Ces derniers ne bénéficieront donc plus de la protection que les textes leur apportaient jusqu'ici. C'est une loi spoliatrice : pendant des années, des banques n'ont pas respecté leurs obligations d'informations dans les contrats de prêt. » D’autant, souligne-t-elle, que « le Code de la consommation sera lui aussi modifié dans un sens plus favorable aux établissements financiers, lorsque le taux effectif global aura été sous-estimé ». Rien d’étonnant à ce que les représentants du monde bancaire gardent le silence, après ces dispositions qui s‘annoncent si favorables à leurs intérêts. Dans un premier temps, la fédération bancaire française avait fait savoir son mécontentement après avoir découvert le projet d’alourdissement de la taxe systémique. « La création d'une taxe pour alimenter ce fonds créerait des distorsions entre établissements et ne bénéficierait en fait qu'à une activité en extinction, celle de Dexia, au détriment du reste du secteur bancaire, qui doit pourtant maintenir sa capacité à financer l'économie », avait-elle écrit en juin au ministre des finances Pierre Moscovici. Depuis que le projet de loi de finances a été dévoilé, le lobby bancaire est aux abonnés absents. Manifestement, la règle du donnant-donnant telle qu’aime la pratiquer Bercy lui convient parfaitement. Les élus le constatent dès maintenant : les choix de Bercy jouent contre eux et les fragilisent. « La perspective de voir ce projet adopté crée une vraie distorsion en faveur des banques. Elles se retrouvent dès aujourd’hui en position de force pour négocier les conditions de sortie. » Les élus s’en rendent parfaitement compte sur le terrain : les choix de Bercy les fragilisent en les plaçant presque au dos au mur, dit Christophe Faverjon, maire communiste d’Unieux (Loire). « Le projet a failli faire échouer les négociations que j’avais entamées pour renégocier certains emprunts », raconte Stéphane Troussel, maire socialiste de La Courneuve qui a succédé à Claude Bartolone à la présidence du conseil général de la Seine Saint-Denis. Énervé, l’élu a écrit ces derniers jours au premier ministre pour lui demander si le gouvernement avait l’intention de remettre en cause la retraite chapeau de 300 000 euros accordée à Pierre Richard, l’ancien président de Dexia, qui jusqu’à présent a échappé à toute mise en cause, comme le recommandait la Cour des comptes dans son dernier rapport sur la banque, publié en juillet. Matignon n’a pas encore répondu. « Ce texte est inacceptable en l’état », prévient Maurice Vincent. « Il est trop déséquilibré. Il oublie complétement la responsabilité des banques dans ce dossier, au détriment de collectivités locales. Il comporte trop d’inconnues sur ces modalités d’application, les engagements financiers », pointe-il avant de mettre en garde le gouvernement :« Il n’y aura pas de majorité pour le voter.

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