vendredi 6 novembre 2015

Libération : Affaire BNP Paribas : «J’ai alerté tout le monde» Nathalie Chevallier

http://www.liberation.fr/france/2015/11/05/affaire-bnp-paribas-j-ai-alerte-tout-le-monde_1411593

Une ex-directrice régionale de BNP Paribas-Personal Finance a livré à la justice des détails sur la mise en circulation de prêts toxiques. «Libération» a eu accès à son témoignage, qui montre que la banque connaissait les risques.

  Affaire BNP Paribas : «J’ai alerté tout le monde»
Un témoignage clé vient de donner une nouvelle dimension à l’affaire Helvet Immo, du nom de ces prêts immobiliers toxiques commercialisés par BNP Paribas-Personnal Finance (BNP-PF). Ancienne directrice régionale de cette filiale (à 100 %) de la BNP, Nathalie Chevallier a raconté à la juge Claire Thépaut, lors de son audition mi-septembre, les débats et controverses intervenus en interne avant le lancement de ce produit. Début 2008, plusieurs cadres de la banque mettent en garde la direction sur le caractère risqué de Helvet Immo, un type d’emprunt octroyé en francs suisses mais remboursable en euro. Une de ses collègues émet de «sérieuses réserves». Un autre affirme carrément qu’il n’y «comprend rien». «J’ai alerté tout le monde, a dit à la juge Nathalie Chevallier. J’expliquais que c’était un très gros risque pour l’image de la BNP.» La directrice régionale fait notamment état de «crash tests» montrant que Helvet Immo pouvait avoir un «impact déraisonnable» pour se souscripteurs. Réponse des dirigeants de BNP Paribas Personal Finance : «Est-ce que tu te crois plus intelligente que ceux qui ont conçu ce produit ?» En dépit de ses alertes, la commercialisation est lancée : 4 655 de ces prêts vont être octroyés entre mars 2008 et décembre 2009, représentant un total de l’ordre de 700 millions d’euros. Mais, très vite, les risques évoqués à l’intérieur même de la maison BNP vont se concrétiser, mettant les emprunteurs dans une situation catastrophique. Le montant de leur capital à rembourser ne cesse d’augmenter, du fait de l’incessante progression du franc suisse face à l’euro sur le marché des changes. Comme ce couple ayant emprunté 111 196 euros pour l’achat d’un appartement en 2010, qui doit à présent 158 609 euros alors qu’il a déjà remboursé plus de 40 000 euros (lire page 15). Dans ce dossier, plus d’un millier d’emprunteurs ont déjà porté plainte. En avril, BNP-PF a été mise en examen pour «pratique commerciale trompeuse». Ce nouveau témoignage est jugé tellement crucial qu’il a été transmis par le parquet à la juridiction civile, noyée sous les plaintes. «Cette audition confirme l’ampleur de la fraude», estime l’avocat Charles Constantin-Vallet, qui représente plusieurs centaines de plaignants. Récit en trois actes d’un prêt risqué devenu épineux pour la BNP.

La conception
Tout commence au printemps 2008. BNP Personal Finance ne parvient plus à vendre les prêts à taux révisable, jusque-là fonds de commerce de sa branche immobilier. Avec la crise des subprimes survenue quelques mois plus tôt, ce type de crédits est devenu très difficile à écouler. «Comme il était plus cher que le taux fixe, nous ne vendions plus rien», a expliqué Nathalie Chevallier. La filiale de la BNP va alors avoir l’idée de concevoir un nouveau prêt, baptisé Helvet Immo. Ancienne directrice régionale de l’agence BNP Paris-Etoile, une des plus performantes de France, Nathalie Chevallier est alors chargée avec deux autres cadres de former un groupe de travail. Objectif : établir l’argumentaire commercial de ce nouveau produit, présenté comme un prêt immobilier mais comparable à «un placement boursier en termes de risque», selon elle. Très vite, elle émet des «réserves», notamment en raison de la complexité du produit. Elle dispose surtout d’un outil de simulation permettant d’anticiper les évolutions possibles du capital à rembourser par l’emprunteur. Celui-ci dépend de l’évolution du taux de change entre franc suisse et euro. «J’ai pu faire tourner l’outil à la fois avant et pendant la commercialisation, explique-t-elle. Cet outil m’a permis de comprendre la dangerosité de ce produit.» Des inquiétudes aussitôt relayées à sa hiérarchie. «Je leur ai dit que j’avais des crash tests et qu’ils étaient très mauvais. Ils m’ont demandé si je croyais au produit, je leur ai dit que non, que je refusais de le vendre et que c’était un risque pour l’image de la BNP.»

Sa hiérarchie lui donne alors «quinze jours pour changer d’avis». «Ils n’ont pas admis ma rébellion. Se révolter, ça ne se fait pas chez BNP.» Peu de temps après, Nathalie Chevallier est écartée du groupe de travail, mais pas de la banque, où elle va participer à la commercialisation de ces prêts qui vont se révéler toxiques. «Je n’ai pas eu le droit d’expliquer à mes collaborateurs la vraie nature de ce produit, de les mettre en garde sur sa dangerosité, déplore-t-elle. Si j’avais expliqué ce que je voyais sur les crash tests, personne n’aurait vendu le produit.»

La commercialisation
Malgré ces mises en garde répétées, Helvet Immo est commercialisé à partir de mars 2008. Entre le moment où Nathalie Chevallier est sollicitée pour préparer l’argumentaire et le lancement du nouveau produit, il se passe seulement quelques semaines. Pour vendre ses prêts, la banque va alors s’appuyer sur un réseau d’intermédiaires formés par ses soins. Le principal argument commercial de la banque tient en une ligne : quel que soit le montant de l’emprunt, le capital à rembourser ne peut varier «que de quelques centimes d’euros». Une contre-vérité au regard des tests réalisés en interne. «On avait l’obligation de dire cela aux collaborateurs et aux partenaires», a expliqué Nathalie Chevallier lors de son audition.

Pour n’inquiéter personne, la plaquette de présentation du prêt passe sous silence le risque principal, celui lié au taux de change. «Le but était de ne pas écrire des choses qui pourraient inquiéter le client ou mettre en évidence des éléments négatifs, résume-t-elle. Sinon, on ne vendait pas.» La filiale de la BNP s’appuie sur l’image de sa maison mère pour convaincre les plus sceptiques de commercialiser le produit. A la fin de chaque réunion, raconte l’ancienne cadre de banque, le même discours est servi aux intermédiaires : «Vous êtes nos partenaires, nous sommes la BNP, nous ne pouvons pas nous permettre de lancer un produit qui ne serait pas de qualité et, si ça tourne mal, nous serons toujours là pour nos clients.» Une caution de moralité jugée suffisante. «Quand vous dites ça à un intermédiaire, vu ce que pèse BNP, il ne peut que le croire», estime Nathalie Chevallier. De nombreux intermédiaires s’estimant floués ont depuis témoigné dans la procédure. «Nous avons été trompés abusivement par l’argumentaire qui avait pour but de masquer le risque de change. Nous ne pouvions penser qu’une banque aussi réputée pourrait mentir à ce point», a expliqué l’un d’eux aux policiers chargés de l’enquête. «A aucun moment on n’a senti le danger. Nous faisions confiance à la BNP», a déploré un autre.

A l’époque, pour le département immobilier de BNP Paribas-Personal Finance, vendre des crédits Helvet Immo est devenu une question de survie. «Il ne se passait pas une semaine sans qu’on demande à nos collaborateurs de prendre la route pour aller inciter nos intermédiaires à en vendre beaucoup», a raconté Nathalie Chevallier. Tous les arguments sont bons pour écouler ce produit toxique. «On disait même aux partenaires de mettre en avant auprès du client qu’il allait avoir un compte en Suisse. Ce qui pouvait être considéré comme un privilège.»

La crise
Fin 2009, à mesure que l’euro se déprécie face au franc suisse, les clients se rendent compte à la lecture de leurs relevés que leur capital restant dû augmente au lieu de baisser. La banque doit faire face aux appels angoissés des emprunteurs. «On a cessé la commercialisation car trop de clients se plaignaient au niveau du service après-vente et on avait peur en termes d’image que cela soit médiatisé», a indiqué Nathalie Chevallier. Dès le mois d’avril 2010, le service marketing de la banque lui demande un argumentaire afin de répondre aux clients inquiets. «On ne pourra pas dire que tu n’avais pas prévenu sur les limites du produit», s’excuse en interne son interlocuteur par mail. Quelques mois plus tard, elle sera elle-même dépêchée au siège de la banque pour gérer la crise. «Je suis arrivée dans une salle. Il y avait plein de cartons et de dossiers et on m’a demandé de regarder le score de chaque dossier.» En clair : de déterminer le niveau d’endettement des différents clients ayant souscrit un prêt Helvet Immo. «On m’a alors demandé de faire deux piles, poursuit la témoin. Ceux qu’on sauvait parce que leur profil était dangereux dans l’éventualité d’une action judiciaire contre BNP et les autres.»

Certains des emprunteurs que la banque choisit de «sauver» ne savent même pas encore que leur crédit a explosé. La banque leur propose de passer en taux fixe et en euros en les exonérant de frais de change, mais ils devront assumer une partie du capital à rembourser. Pour l’ancienne cadre, si la commercialisation des prêts n’a pas été «clean», la gestion de la crise a été encore plus catastrophique. «Le traitement post-crise est pour moi pire car il y a eu discrimination de la clientèle», s’est émue la témoin, qui a quitté la filiale en février 2011. Et s’étonne aujourd'hui que toutes les personnes en charge de la conception de ce produit ont été «promues».

Tonino Serafini , Emmanuel Fansten

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