mardi 19 novembre 2013

Comment l'Etat tente d'échapper aux conséquences du scandale Dexia

http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/11/18/comment-l-etat-tente-d-echapper-aux-consequences-du-scandale-dexia_3515353_3232.html

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Une bataille cruciale s'annonce au Parlement pour les collectivités territoriales victimes d'emprunts toxiques à l'occasion du vote de la loi de finances 2014, et plus particulièrement de son article 60, intitulé "fonds de soutien aux collectivités locales".

Cette loi, au titre assez trompeur, vise avant tout à protéger l'Etat contre le risque de condamnation judiciaire encouru par Dexia Crédit Local, banque en faillite dont la puissance publique s'est portée garant.
il ne s'agit donc pas vraiment de "soutenir" les collectivités territoriales, mais plutôt de déplacer le fardeau loin du budget de l'Etat, par le biais d'un artifice législatif contestable
UNE LOI CONSTRUITE SUR MESURE POUR PROTÉGER L'ETAT
Pendant une dizaine d'années, Dexia Crédit Local et quelques autres banques françaises, ont déployé des ressources importantes pour vendre aux collectivités territoriales des produits financiers dits " structurés ", aux caractéristiques aussi attrayantes qu'explosives.
Usant de méthodes commerciales discutables - les contrats à taux variables s'appelaient par exemple " Tofix ", et omettant d'informer leurs clients sur les risques encourus, ces banques ont poussé des élus à souscrire des prêts souvent indexés sur une monnaie étrangère. La crise financière de 2008 ayant profondément modifié les conditions du marché, les taux d'intérêts ont explosé, et environ 200 collectivités ont décidé d'assigner leur banque devant les juridictions judiciaires.
Les deux-tiers des litiges concernent Dexia, aujourd'hui en faillite, et dont les actifs ont été repris par l'Etat, la Caisse des dépôts et consignations, et la Banque postale à travers une structure de défaisance. Or, une décision rendue le 8 février 2013 par le tribunal de grande instance de Nanterre a démontré qu'il existait une "faille" dans les contrats signés par Dexia.
Le document standard envoyé aux acteurs publics par la banque au moment de la transaction n'indiquait pas le Taux effectif global (TEG) du prêt, information pourtant obligatoire d'après l'article L313-2 du Code de la consommation. La sanction encourue par Dexia est la substitution du taux d'intérêt légal (très faible) au taux d'intérêt contractuel (exorbitant).
Ainsi, si les procédures judiciaires actuellement en cours arrivent à leur terme, l'Etat français - à qui la déconfiture de Dexia a déjà coûté 6,6 milliard d'euros - risque de devoir supporter au moins une centaine de condamnations en justice. C'est avant tout pour prévenir ce risque que l'Etat a souhaité introduire dans le projet de loi de finances 2014 un nouvel article 60 consacré aux emprunts toxiques.
UN PROJET DE LOI À L'APPARENCE AUSSI PROMETTEUSE QUE TROMPEUSE
L'article 60 du projet de loi de finances prévoit d'abord la constitution d'un fonds de soutien aux collectivités, qui serait doté chaque année de 100 millions d'euros sur une durée maximale de 15 ans, soit un total de 1,5 milliards d'euros.
Ce fonds vise officiellement à aider des collectivités à sortir des emprunts les plus risqués en remboursant de manière anticipée leurs dettes. Cette attitude chevaleresque affichée par l'Etat doit toutefois être tempérée par les conditions de mise en œuvre de cette aide.
En effet, en l'état actuel du projet, le recours à cette aide impliquerait pour les collectivités de conclure au préalable une transaction avec la banque prêteuse portant sur l'ensemble des emprunts souscrits. Cela signifie que la collectivité devrait se désister des instances en cours et renoncer à toute action judiciaire ultérieure avant même de savoir quelle réparation lui serait allouée.
Un grand saut dans le vide dont le seul garant serait l'Etat, en plein conflit d'intérêts, puisqu'il aurait un intérêt direct à ce que l'arrangement soit le plus favorable possible à Dexia, dont l'Etat est le principal actionnaire.
CONTRAIRE AUX PRINCIPES CONSTITUTIONNELS
En outre le projet de loi prévoit de valider rétroactivement les contrats de prêt contestés sur le fondement du défaut de mention du taux effectif global. Le législateur court-circuiterait ainsi sauvagement tous les recours pendants devant les juridictions judiciaires et se mettrait à l'abri des condamnations à venir de Dexia qui, en l'état de la jurisprudence, pourraient être très nombreuses.
La légalité d'une telle "validation législative" qui vient modifier l'issue de plusieurs litiges en cours, est toutefois soumise à des conditions drastiques. Le Conseil Constitutionnel considère en effet qu'une telle loi ne peut être justifiée que si elle répond à " un but d'intérêt général suffisant ".
Or, l'article 60 du projet de loi des finances 2014 sert les seuls intérêts de l'Etat actionnaire. L'absence de mention du TEG constitue en effet une erreur n'existant, à notre connaissance, dans les seuls contrats conclus par Dexia, dont l'Etat est aujourd'hui le garant.
Cette loi pourrait ainsi être considérée comme contraire aux principes constitutionnels régissant le droit français. En outre une telle disposition semble venir en violation de deux principes fondamentaux édictés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, à savoir le droit de propriété et le droit au procès équitable.
La France a déjà été sanctionnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) sur ces deux fondements pour la mise en œuvre de lois de validation dépourvues de but d'intérêt général suffisant (cf. CEDH Lecarpentier c/France, 14 février 2006).
L'indépendance de la justice face au pouvoir législatif est ainsi ébranlée lorsque le législateur s'arroge le droit d'intervenir dans une affaire judiciaire en cours en votant une loi rétroactive.
Le Parlement ne peut trancher de manière anticipée un litige à la place du juge dans le seul but de préserver les intérêts de l'Etat actionnaire.
Il ne serait dès lors pas surprenant que les collectivités territoriales opposent les protestations les plus vives à ce projet de loi, et ce tout particulièrement à quelques mois des élections municipales.

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