mardi 13 mai 2014

Emprunts toxiques : l'État refuse de payer pour les collectivités locales

http://www.lepoint.fr/economie/emprunts-toxiques-l-etat-refuse-de-payer-pour-les-collectivites-locales-12-05-2014-1821566_28.php

Emprunts toxiques : l'État refuse de payer pour les collectivités locales

Afin de protéger les finances de l'État, le gouvernement tente de nouveau de valider a posteriori des contrats de "prêts structurés" contestés par la justice.

Qui est responsable pour les emprunts "toxiques" souscrits par de nombreuses collectivités locales dans les années 2000 ? L'État refuse en tout cas de régler l'addition. En tant qu'actionnaire de la banque des collectivités locales Dexia à 44 % et à 75 % d'une de ses ex-filiales, la Caisse de financement locale (SFIL), il a pris la défense des établissements bancaires dans le contentieux qui les oppose aux collectivités locales. Le 23 avril, le gouvernement a présenté un projet de loi qui sera examiné mardi au Sénat. Ce texte entérine rétroactivement certains contrats de prêts structurés susceptibles d'être contestés devant la justice par les responsables territoriaux, afin d'éviter que Dexia ou la SFIL ne subissent des pertes considérables. Dans une affaire opposant une collectivité à Dexia, le tribunal de grande instance de Nanterre a en effet substitué le taux d'intérêt mentionné dans le contrat par un taux d'intérêt légal dérisoire, au motif d'un défaut de mention du TEG (taux d'intérêt effectif global), pourtant obligatoire. 
D'apparence technique, cette affaire a de quoi faire dérailler les comptes publics, justifie l'État dans une étude d'impact annexée au projet de loi à la tonalité très alarmiste. Le risque serait d'autant plus important qu'un second jugement de la juridiction de mars 2014 a encore élargi le nombre de dossiers potentiellement concernés. Résultat : la jurisprudence du TGI de Nanterre pourrait s'appliquer à plus de 250 contrats similaires pour lesquels les collectivités ont déjà déposé des assignations. 

17 milliards de pertes potentielles

En cas d'absence d'adoption du projet de loi présenté en procédure accélérée au Parlement, les pertes directes s'élèveraient donc à 10 milliards d'euros. L'État souligne par ailleurs que la généralisation de la décision du tribunal de Nanterre l'obligerait très probablement à recapitaliser la SFIL puis à la faire, à terme, disparaître. Un boulet de 7 milliards d'euros supplémentaires de "risques indirects", payables dès 2014 ou 2015. Au total, la facture potentielle se monterait donc à 17 milliards d'euros, soit un tiers du plan d'économies dans les dépenses publiques annoncé par Manuel Valls, dont 9 dès cette année ! 
Suffisant aux yeux de l'État pour lâcher les collectivités locales, qui avaient pourtant bénéficié des deux décisions de justice - encore susceptibles d'appel - favorables. Le gouvernement explique dans une litote que "le transfert" du risque "vers les emprunteurs de la SFIL" (les collectivités locales) se justifie d'autant mieux qu'elles n'auront pas à assumer, contrairement à l'État, le risque indirect de 7 milliards. 
Et n'hésite pas, au passage, à détruire l'argument juridique du défaut de mention de TEG des collectivités, qui ne cause, selon lui, "aucun préjudice avéré, dès lors que les éléments essentiels à la compréhension des caractéristiques de l'emprunt ont été portés à la connaissance de l'emprunteur". "Les décisions de justice actuelles procurent donc à l'emprunteur un véritable effet d'aubaine" en appliquant un taux d'intérêt de 0,04 %, va même jusqu'à regretter l'étude d'impact.

"On est en train de faire voter les parlementaires sur un mensonge"

Une analyse qui fait bondir Me Hélène Feron-Poloni. Pour cette avocate spécialisée dans les litiges opposant des clients de banques et les établissements financiers, l'application de ce taux est justifiée parce qu'elle constitue une sanction financière à l'encontre des banques qui n'ont pas respecté leurs obligations légales. 
Le risque pour les comptes de l'État est d'ailleurs exagéré, dénonce la spécialiste : "On est en train de faire voter les parlementaires sur un mensonge en termes de conséquences financières. Non seulement les prêts structurés des collectivités sont comptabilisés dans leur totalité, bien au-delà des procédures déjà engagées, mais l'État extrapole sur des contentieux potentiels futurs. Or, l'État n'a même pas cherché à savoir si les prêts étaient prescrits ou pas pour l'application du taux d'intérêt légal à la place du taux conventionnel alors qu'il y a une passe très importante de contrats de prêts qui ne peuvent être attaqués sur la base du TEG ! C'est grossier de procéder ainsi, il faut s'y prendre dans un délai maximal de 5 ans à compter de la signature de celui-ci pour éviter une prescription". 

"L'État cherche à se dédouaner de ses responsabilités" (vice-président PS du conseil général de l'Ain)

Pour Christophe Greffet, vice-président PS du conseil général de l'Ain et secrétaire de l'association Acteurs publics contre les emprunts toxiques, "l'État cherche à se dédouaner d'un certain nombre de responsabilités. C'est le contribuable local qui devra immanquablement assumer le coût. Pourtant, ce type de prêt n'aurait jamais dû être diffusé dans le monde des collectivités et des acteurs publics comme les hôpitaux et les syndicats de collectivités. Les autorités de contrôle auraient dû s'assurer, à l'époque des dérives financières, dans les années 2000, que ce type de prêt ne puisse pas être diffusé", dénonce-t-il.
Le vice-président PS du conseil général de l'Ain, collectivité victime des prêts structurés, rappelle que le département doit rembourser un emprunt souscrit auprès du Crédit agricole dont le taux d'intérêt a explosé pour atteindre 27 % à la fin de l'année 2014 et devrait, "selon toute vraisemblance, atteindre plus de 40 %". 

Un fonds de soutien conditionné à un accord avec les banques

La loi de validation des contrats de prêts concernés par le défaut de TEG ne veut certes pas dire que les collectivités n'ont pas d'autres arguments juridiques à faire valoir, comme le "défaut de conseil" de la part de la banque au moment de la signature, mais elles pourraient avoir plus de difficultés à remporter des victoires.
L'État rappelle aussi qu'il consacre, dans le cadre de la loi de finances 2014, un fonds de soutien aux collectivités doté de 100 millions d'euros par an pendant 15 ans financé à moitié par les banques grâce à la "taxe systémique". Mais les décrets ne sont toujours pas parus, de sorte que celles-ci ne savent toujours pas si elles rempliront les critères pour en bénéficier, pour quel montant et à quel moment, car toutes ne pourront pas être servies en même temps. "Cette aide reste très hypothétique. D'abord parce qu'elle est limitée à 45 % du montant de la soulte (supérieure au capital restant dû) que les collectivités ont à régler et qu'elle se fera en fonction de l'état des comptes de la collectivité. L'État pourra par exemple considérer qu'il ne doit accorder aucune aide parce que la trésorerie de la collectivité lui permet de faire face", alerte Me Hélène Feron-Poloni. 
Pour être un bénéficiaire potentiel, les collectivités devront aussi "préalablement conclure une transaction" avec les banques "sur l'ensemble des emprunts structurés et instruments financiers" avant le 15 mars 2015. En clair, renoncer à contester leur(s) contrat(s) de prêts litigieux... "Le timing n'est pas bon", résume Christophe Greffet, pour qui tout cela va peser sur les renégociations en cours des prêts structurés avec les banques.

Incertitudes juridiques

L'élu de l'Ain espère encore que le projet de loi du gouvernement sera retoqué par le Conseil constitutionnel. Une première mouture, dévoilée à l'automne 2013, n'avait pas passé la rampe des sages de la rue de Montpensier, au motif qu'elle était d'application trop générale puisqu'elle s'appliquait aussi à des entités de droit privé. "Jean-Louis Debré avait quand même été très en colère. Le spectre est aujourd'hui plus réduit, mais il reste conséquent", veut croire Christophe Greffet. 
Pour Me Feron-Poloni, cette validation législative n'aurait de toute façon aucune chance de passer la barre de la justice européenne. "Mais l'État s'en moque, car il sera alors trop tard, le mal sera fait."


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