lundi 19 janvier 2015

L’envolée du Franc suisse risque de pénaliser toute l’économie helvétique

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Pourquoi l’envolée du Franc suisse risque de pénaliser toute l’économie helvétique
ISABELLE CHABOUD / PROFESSEUR AU DÉPARTEMENT GESTION DROIT FINANCE À GRENOBLE ECOLE DE MANAGEMENT | LE 18/01

Si le bond du Franc suisse ravit les frontaliers, c'est toute l’industrie exportatrice, l'horlogerie et le secteur financier helvétique qui risquent d'être pénalisés


Le 15 janvier, la BNS a décidé d’abandonner le cours plancher de sa devise entraînant une hausse du franc suisse de plus de 20 % face à l’euro ou au dollar. L’indice SMI (Swiss Market Index) perdait presque 9 % à la clôture. Cette décision risque de pénaliser tous les secteurs de l’économie suisse, mais avant tout celles opérant dans l’horlogerie et les services financiers.
Baisse des exportations
Si le franc suisse reste durablement surévalué, ce que craint la Fédération des entreprises suisses, c’est toute l’industrie exportatrice suisse qui sera frappée. Dans ce petit pays où les exportations représentent 12 % du PIB, une telle mesure risque d’impacter toutes les entreprises exportatrices. Néanmoins, ce seront surtout les entreprises, dont les coûts de production sont essentiellement engagés en Suisse alors qu'elles vendent à l'export, qui verront leurs résultats négativement impactés. Il s'agira principalement de sociétés opérant dans la haute horlogerie comme Rolex, Audemars Piguet, Philippe Patek... 
Richemont par exemple ne réalise que 5 % de son chiffre d'affaires sur son marché domestique alors que l'essentiel de sa production est assuré dans le pays pour conserver son label "made in Swiss". Il y a de fortes chances que leurs ventes reculent et que leurs marges diminuent, néanmoins ces sociétés devraient être capables d'absorber une baisse de leurs marges. Mais plus grave, les petites sociétés ou les petits entrepreneurs, s’ils ont des contrats libellés en euros, risquent de perdre leurs clients et pour certains être contraints à arrêter leur activité.
Il n’est pas exclu non plus que des emplois soient supprimés dans tous les secteurs pour regagner en compétitivité. Cette annonce intervient en plus dans un contexte économique mondial assez incertain et très volatile. Certaines entreprises exportatrices (horlogerie, bijoux principalement) sont touchées par les évènements géopolitiques au Moyen-Orient, mais aussi en Russie, par la chute des ventes en Asie et par la morosité en Europe.
Indirectement, la Suisse est aussi affectée par la baisse du cours du pétrole, car les clients des pays producteurs – Arabie Saoudite par exemple – vont limiter leurs achats et leurs investissements en Suisse. Il en ira de même pour les clients russes qui sont doublement touchés et par la chute des cours de l’or noir et par la dévaluation du rouble. Au-delà des exportations vers ces pays qui seront sans aucun doute réduites, ces évènements risquent de limiter les voyages, vacances de cette clientèle qui dépensait souvent des sommes importantes en montres, bijoux…
Enfin, les achats européens risquent aussi de diminuer compte tenu de la conjoncture actuelle. Cette situation deviendrait alors assez préoccupante, car deux tiers des exportations suisses se font en direction de l’Europe. Qui plus est, les touristes proches de la Suisse : Italie, France, Allemagne, Angleterre… choisiront probablement d’autres destinations pour leurs vacances de ski notamment. Cela affectera non seulement les achats locaux qui étaient réalisés en Suisse par ces touristes, mais aussi l’hôtellerie suisse, les stations de ski, l’immobilier.
Parallèlement, les frontaliers résidant en Suisse risquent d’aller faire leurs courses en France, pénalisant encore davantage les commerçants suisses, ou profiteront de la hausse du franc suisse pour augmenter leur consommation de biens importés. Les communes frontalières françaises, si elles n’ont pas contracté d’emprunts indexés sur le franc suisse, en tireront peut-être quelques bénéfices et il n’est pas impossible que des villes comme Annecy voient le prix de l’immobilier s’apprécier encore.
Menaces sur l’horlogerie helvétique 
L’abandon du cours plancher, instauré par la BNS en 2011, et qui a fait bondir la devise helvétique de plus de 20 % le 15 janvier, a entraîné une chute des cours des grandes entreprises suisses et tout particulièrement celles opérant dans l’horlogerie. Le cours de Swatch Group a chuté de 16,29 % et celui de Richemont de 15,65 % le 15 janvier. Les entreprises horlogères suisses sont les plus touchées, car elles exportent 95 % de leur production vers les zones euros et dollars alors que leurs coûts de production sont en francs suisses.
L’envolée du franc suisse risque de faire bondir de 15 à 20 % le prix de leurs montres, or hasard du calendrier, le Salon International de la Haute Horlogerie qui accueille des milliers de revendeurs venus du monde entier, ouvrira ses portes vendredi prochain à Genève. Ce salon, moment clef de l’année pour les montres suisses, révèlera si les clients accepteront de passer de grosses commandes avec des hausses de prix de 15 à 20 %. Il y a fort à craindre que les prestigieuses maisons horlogères suisses voient leur carnet de commandes diminuer cette année. Ces mesures sembleraient avoir déjà affecté également de petites sociétés horlogères suisses qui ont reçu des annulations de commandes de détaillants dès l’annonce de la hausse du franc suisse.
Le Groupe Richemont (Cartier, Vacheron Constantin, IWC, Jaeger- LeCoultre…) ne réalisant que 5 % de son chiffre d’affaires sur son marché domestique devrait être tout particulièrement touché. Au 30/09, le groupe avait déjà annoncé un bénéfice net en baisse de 23 % alors que les ventes avaient augmenté de 2 % et de 4 % à taux de change constant par rapport à l’exercice précédent. Richemont a annoncé, le 15 janvier, ses résultats pour les trois derniers mois jusqu’au 31 décembre 2014.
Le groupe genevois faisait déjà état d’une activité en recul par rapport à celle des six premiers mois avec des conditions difficiles de marché surtout en Asie Pacifique, à Hong-Kong et Macao. Dans le secteur des montres, les ventes étaient en retrait de 4 %. La baisse des cours des métaux précieux n’aura pas suffi à compenser les coûts de production et les autres coûts (locations, frais généraux…) essentiellement libellés en francs suisses.
Richemont, n’avait pas besoin de l’appréciation du franc suisse qui survient alors que le groupe était déjà touché par la chute de ses ventes en Asie. Au niveau groupe, toutes activités confondues, les ventes du 3e trimestre (jusqu’au 31 décembre 2014) en Asie étaient en chute de 12 % à taux de change constant. Richemont clôturera ses comptes au 31 mars 2015 et risque donc de voir ses chiffres du dernier trimestre se dégrader encore.
Inquiétudes sur le secteur financier 
Déjà boudé par certains gros clients ayant anticipé la levée du secret bancaire, la hausse du franc suisse risque aussi de décourager les investisseurs d’effectuer des placements en franc suisse pour s’orienter vers d’autres monnaies. En outre, le taux d’emprunt à 10 ans de la Suisse devient négatif pour la première fois. Situation qui impliquerait qu’un acteur prêtant de l’argent à la Suisse, non seulement ne reçoive pas d’intérêt, mais doive payer pour prêter de l’argent.
Un certain nombre d’acteurs ayant contracté des emprunts en franc suisse risquent d’avoir des difficultés à effectuer leurs remboursements. Nombre de pays de l’Europe de l’Est comme la Hongrie, la Pologne ou la Croatie ont contractés des crédits immobiliers en francs suisses. En Pologne, par exemple 40 % des emprunts ont été libellés en franc suisse et représenteraient environ 30 milliards d’euros selon la Commission polonaise de surveillance des banques. Des défauts de paiement importants ne sont donc pas à exclure.
En France, certaines collectivités locales sont détentrices d’emprunts indexés sur la parité euro/franc suisse ce qui va entraîner une flambée des intérêts financiers. Cela affectera aussi les emprunts indexés sur les cours de change US dollar/franc suisse. Ces emprunts vont devenir des emprunts toxiques et les conséquences seront certainement dévastatrices.
Au niveau international, quelques intervenants ont déjà été fortement frappés. Au Royaume-Uni, Alpari UK, maison de courtage s’est déclarée en cessation de paiement. Aux États-Unis, FXCM une des plus grandes plateformes en ligne de trading de devises à destination des particuliers n’a plus suffisamment de fonds propres faute de remboursements de clients ruinés. La cotation de FXCM a même été suspendue le 16 janvier à la bourse de New York.
Dès le 16 janvier, UBS révisait ses prévisions de croissance pour la Suisse à la baisse en prévoyant une hausse du PIB de 0,5 % pour 2015 au lieu de 1,8 % et pour 2016 : 1,1 % au lieu de 1,7 %. Enfin, il n’est pas à exclure que des banques suisses ayant des avoirs à l’étranger essuient des pertes sur ces derniers.
Incertitudes générales
La décision de la BNS a pris de cours les marchés financiers et les répercussions à l’international se font sentir. Globalement, les réactions sont déjà très négatives. Pour l’instant, seuls les frontaliers qui habitent en France et qui ont vu leurs salaires augmenter de près de 30 % en une nuit se réjouissent, mais ils pourraient aussi être les premiers touchés par une contraction éventuelle de l’emploi en Suisse. Cette envolée du franc suisse, si elle se poursuit, risque de pénaliser l’économie suisse tout entière.
Tous les secteurs produisant en Suisse et exportant seront affectés : la pharmacie, l’agroalimentaire, et avant tout la haute horlogerie suisse, secteur emblématique de ce petit pays. Richemont devrait figurer parmi les plus gros perdants de cette envolée du franc suisse. L’industrie touristique ne sera pas épargnée. Le PIB national pourrait bien être réduit de 5 milliards de francs suisses comme l’estime la banque suisse UBS. Enfin, si les emprunts toxiques explosent ainsi que les défauts de paiement, il est à craindre que les deux grandes banques UBS et Crédit Suisse soient ébranlées et il faudra alors que la Suisse prenne des mesures pour éviter une crise systémique sur les marchés.


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