David Bourghelle est enseignant chercheur à l'Institut d'administration des entreprises de Lille. Il pose un regard sans concession sur les emprunts structurés dits toxiques. ...
la différence des prêts à taux d'intérêt fixes traditionnellement octroyés aux collectivités locales pour financer leurs dépenses d'investissement, les emprunts structurés (dits toxiques) peuvent être à taux variables, exposant ainsi les emprunteurs à l'instabilité des marchés financiers.C'est un peu comme les prêts immobiliers à taux variable accordés par les banques à des ménages qui chercheraient à bénéficier du meilleur taux d'intérêt. Il faut alors être conscient du risque d'avoir à supporter une éventuelle hausse de ce taux.
Ces emprunts sont considérés comme toxiques car ils laissent les communes concernées dans l'incertitude totale concenant le montant des intérêts qu'ils auront à régler à l'avenir.
Comment ces produits ont-ils été créés ? Avec quels objectifs ?Ces emprunts sont considérés comme toxiques car ils laissent les communes concernées dans l'incertitude totale concenant le montant des intérêts qu'ils auront à régler à l'avenir.
Une banque propose à une collectivité locale (commune, département..) un prêt à taux fixe réduit qui s'appliquera durant quelques années (taux bonifié). A l'issue de cette période, le taux d'intérêt varie en fonction d'une référence de marché (le cours d'une devise, un taux d'intérêt variable). On peut citer l'exemple d'une commune ayant contracté ce type d'emprunt et qui aurait payer un taux bonifié de 3,2% pendant 3 ans mais qui supporterait ensuite un taux variable au cas où le taux de change de l'Euro contre Dollar franchit un certain seuil (1,40 dollar pour 1 euro par exemple).
Selon les formules (parfois complexes) de calcul du taux variable, la commune en question aurait potentiellement été exposée à des charges d'intérêt correspondant à un taux de 10 % voire 20 %, ce qui est bien sûr insoutenable !L'objectif de ce type de prêt était de faire en sorte que la collectivité locale puisse bénéficier au départ un taux d'intérêt faible, tout en faisant le pari que le seuil à partir duquel on bascule en taux variable ne sera pas franchi.
Les produits structurés ont certes permis aux collectivités d'économiser des charges financières pendant quelque temps. Mais au vu de la situation budgétaire actuelle de certaines d'entre elles, était-ce vraiment souhaitable ?
Quelles sont les responsabilités des banques ? Quelles sont celles des collectivités locales qui ont eu recours à ces emprunts ?
D'après la Cour des Comptes (juillet 2011) « l'encours de la dette locale intègre environ 30 à 35 milliards d'euros d'emprunts structurés (sur une dette totale de 120 milliards d'Euros) dont 10 à 12 milliards présentant un risque potentiellement élevé ». Ces produits concernent un certain nombre de collectivités, avec toutefois de fortes disparités...
Les banques (sous la pression de la concurrence et de la maximisation du rendement), tous comme certains élus (ne maitrisant pas, à juste titre, les techniques d'ingénierie financière et donc peu conscients de la dangerosité potentielle de ces montages) ont évidemment une part de responsabilité. Cependant, même si les règles de comptabilité publique ne permettent pas de faire apparaître clairement les risques associés à ces emprunts toxiques, on peut se poser la question de la vigilance (ou de l'insuffisance de vigilance ?) de la part de certains de leurs interlocuteurs privilégiés (Direction Générale des Collectivités Locales) et donc des pouvoirs publics !
Comment une collectivité locale peut-elle souscrire un tel emprunt ? Par méconnaissance ou par insouciance ?
Les élus en capacité réelle de saisir toutes les subtilités de ces montages financiers et donc d'évaluer correctement les risques associés ne sont pas légion. Rappelons toutefois que la loi de 1982 accorde aux collectivités locales une grande autonomie en matière d'endettement. Elles avaient donc a priori le choix d'y souscrire ou pas. Cependant, en période de disette fiscale, l'incitation à rechercher les meilleures conditions d'emprunts est forte, surtout lorsque tout le monde vante les mérites du financement par les marchés... en omettant d'en souligner les risques !
Il est donc un peu facile aujourd'hui d'incriminer tous azimuths les élus, d'autant que les banques ont parfois flirté avec certaines limites en matière de transparence de l'information !
Quelles solutions ces collectivités peuvent-elles envisager ?
Lorsque les conditions de marché se sont dégradées et ont provoqué l'activation des taux variables, certaines communes ont tenté de renégocier les emprunts...en échange du versement de lourdes indemnités ! D'autres ont porté plainte pour tromperie contre des établissements financiers, mais ont fréquemment été déboutées par les tribunaux* ! (*faux! concernant les crédits toxiques, à ce jour aucun jugement n'a été rendu )
Pour les collectivités les plus en difficulté, car étranglées par las charges financières, je ne vois pas d'autre solution que de les autoriser à sortir les emprunts "pourris" de leurs comptes en vue de les cantonner dans une structure de "déintoxication" garantie par les pouvoirs publics. Après tout, c'est ce que les Etats français et belge s'apprêtent à faire pour assainir les comptes de Dexia !
Quelles conséquences aux difficultés traversées actuellement par Dexia et l'éventuelle cession par Dexia de son activité de financement des collectivités locales françaises ?
Il est envisagé une reprise des activités de financement et du portefeuille de crédits aux collectivités de Dexia par la Caisse des dépôts et consignation et la banque publique La Poste.
C'est tout de même extraordinaire d'en arriver là alors que Dexia est issue du regroupement en 1996 du Crédit Communal de Belgique et de la Caisse d'Equipement des Collectivités Locales (CAECL), un ancien établissement public administratif privatisé en 1993 et initialement géré par... la Caisse des dépôts !
La Voix du Nord *Pierre Semat
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