jeudi 13 octobre 2011

MEDIAPART

Dexia: Inquiétudes autour du financement des collectivités locales


Dexia, banque numéro un des collectivités françaises, n'est plus. Pour faire face à la situation, trois milliards d'euros seront prochainement débloqués par le gouvernement français afin de surmonter la pénurie de crédits bancaires... Le Premier ministre, François Fillon, a en effet annoncé vendredi 07 octobre 2011 le déblocage de cette enveloppe de prêts, financée par les fonds d'épargne de la Caisse des dépôts. Néanmoins, la solution apportée serait de "court terme" selon Jacques Pélissard*, président de l'Association des maires de France (AMF)... Alors que le démantèlement de Dexia est en cours, qu'adviendra-t-il pour le financement des collectivités françaises ? Comment la faillite est-elle survenue ? Que vont devenir les crédits toxiques contractés par les collectivités ? Patrice Raymond, maître de conférences en droit public et responsable du master "Finances des collectivités territoriales" à l'Université de Bourgogne, apporte son éclairage...
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Patrice Raymond, bonjour. La Belgique a choisi de nationaliser la partie belge de la banque Dexia mais uniquement sur les produits dits classiques tels que l'assurance (Lire ici l'article de La Tribune.fr sur le sujet). Comment se déroule le démantèlement du côté de la France ?
"La situation est différente : il n'y a pas d'achat d'actions de Dexia par le budget de l'État ni une rentrée dans le capital d'une nouvelle banque, qui remplacerait celle-ci. L'État va se reposer sur deux piliers que sont la Caisse des dépôts, dont on dit souvent qu'il s'agit du bras financier de l'État, et la Banque postale, qui a un statut tout de même un peu à part puisqu'elle a été érigée en entité indépendante après la séparation avec les PTT. Cette dernière compte dans son conseil d'administration un commissaire du gouvernement et surtout, il s'agit d'une institution qui s'est interdit les produits toxiques. L'État français ne cherche donc surtout pas à entrer dans le capital mais veut s'appuyer sur ces deux institutions qui lui sont proches. L'idée est de créer un partenariat sous forme d'une filiale commune, qui serait détenue majoritairement par la Banque postale et qui s'occuperait des nouveaux crédits aux collectivités locales. Tout n'est pas finalisé encore car les risques sont quand même énormes.
Certains affirment qu'il existe 70 milliards d'euros, d'autres avancent qu'il y en aurait 110 milliards, de crédits octroyés aux collectivités locales françaises - dont une partie de "produits toxiques" - par Dexia et qui posent problème. Que vont devenir ces crédits ?
Qui reprendra ce porte-feuille de 70 milliards d'euros ? Il faudrait que la Caisse des dépôts et la Banque postale puissent les reprendre mais bien évidemment, elles sont quand même inquiètes des conséquences d'une telle reprise. Les collectivités ne pouvant plus ou alors difficilement rembourser leurs crédits, il s'agirait d'argent perdu d'avance pour ces banques. C'est la raison pour laquelle est avancée l'idée de créer une "bad bank", qui reprendrait ces crédits en cours. Il s'agirait d'une structure de "défaisance".
En tout cas, si une institution ou une autre reprend ces 70 milliards d'euros déjà alloués, quelles seront les garanties que l'État français leur apportera ? C'est là que nous avons plusieurs scénarios... Nous entendons souvent parler de restructuration de la dette en Europe - notamment en Grèce et en Irlande. Celle-ci consisterait à proposer à qui veut le rachat des contrats d'emprunts des collectivités locales. Mais je ne vois pas trop qui ! La seconde chose serait que l'État assure ces garanties par un emprunt qu'il ferait lui-même sur les marchés pour pouvoir permettre à cette nouvelle filiale ou à cette bad bank d'avoir des garanties suffisantes. La Belgique et le Luxembourg sont également intéressés dans cette affaire-là. Seulement, ces trois pays n'ont pas très envie de reprendre à leur propre compte les actifs les plus risqués, qui ont complètement plombé l'établissement.
Ces produits semblent avoir été toxiques pour les collectivités autant que pour la banque elle-même. Qui est fautif dans cette affaire : les collectivités les ayant contractés ou la banque qui les a vendus ?
Est-ce que ce sont les élus qui sont complètement inconscients et qui ont joué les apprentis sorciers fiscaux ? Ou est-ce que c'est Dexia qui a bien senti le besoin d'investissement des collectivités et qui en a profité ? En tout cas, ces produits toxiques sont tout à fait légaux. Les banques se sont rendu compte qu'il y avait besoin de fidéliser la clientèle et de trouver de nouveaux clients ; la concurrence est rude entre elles ! Certaines, dont Dexia, ont trouvé des produits un peu innovants dont les taux d'intérêts s'adossaient à des choses auxquelles on ne pensait pas, parce qu'elles n'existaient pas. Ces produits ont deux composantes : la première est le produit d'appel, c'est-à-dire des taux qui sont très bas et qui garantissent à la collectivité une offre vraiment très intéressante. Les banques n'avaient pas au départ dans l'idée de plomber une collectivité. C'était simplement un produit d'appel pour la fidéliser et plus tard, proposer ensuite d'autres produits. Et ça a marché...
Seulement l'environnement financier mondial a eu pour conséquence de mettre en avant les curseurs qui étaient prévus dans ces contrats, et notamment les taux d'intérêts adossés à un certain nombre d'éléments. Nous sommes alors passés en seconde période de produit, que ni les banques ni les collectivités n'avaient considérée comme crédibles jusqu'alors. Cet environnement financier et cette hyper-spéculation ont créé cette situation et les collectivités ont vu passer leurs taux de remboursement de 3% à 12% !
Le taux de remboursement des collectivités a augmenté mais quel est l'impact pour les banques ?
Les banques ayant fidélisé leurs clients avec ce type de produits se retrouvent à cours d'argent et sans liquidité possible car les prêts ne sont pas remboursés ou alors difficilement. Par exemple, une collectivité qui aurait emprunté sur dix ans, ne pouvant plus rembourser, demande à le faire sur vingt ou trente ans. Le problème est que la banque pensait récupérer l'argent dix ans plus tard. Par des comptes internes, cette dernière avait calculé que dans dix ans, une fois le prêt remboursé et en comptant les intérêts, elle pourrait prêter cet argent à quelqu'un d'autre. Or ce n'est pas le cas. Les banques n'ont plus de trésorerie et elles ne peuvent pas assurer leur mission de prêt : il n'y a plus d'argent. C'est quand même un souci !
Le problème de Dexia, c'est que déjà en 2008, elle s'en était pris plein la tête avec la crise des subprimes. Et donc l'État était venu l'aider, comme il avait aidé d'autres banques, en empruntant sur le marché mondial de l'argent afin de le reprêter aux banques dans le but de leur donner des liquidités (En savoir plus ici).
Le même scénario semble se répéter... Le secteur bancaire n'a-t-il pas changé suite à la crise de 2008 ?
L'environnement financier actuel est contrôlé par les normes Bâle I , II et III. En 1988 s'est mis en place Bâle I, avec l'idée d'imposer aux banques qui prêtaient des ratios prudentiels. Ensuite s'est mis en place Bâle II. Enfin, la crise financière de 2007 et 2008 a amené Bâle III, publié en décembre 2010. Ce dernier est beaucoup plus rigoureux à l'égard des banques qui prêtent aux collectivités territoriales mais pas que. Il a imposé trois normes prudentielles : des normes de solvabilité et de liquidités à court et long terme. Dès lors qu'une banque fait des prêts, il doit exister un noyau dur de capitaux propres. La seconde chose, ce sont les liquidités à long terme : l'idée consiste à ne prêter que ce que l'emprunteur vous a remboursé ; c'est l'adéquation entre la maturité des prêts et les ressources qu'une banque collecte auprès des déposants ou des marchés de titres. Autrement dit, on ne peut prêter que ce que l'on a vraiment. Enfin, le ratio court terme est ce que l'on appelle les coussins cycliques : lorsqu'on a des résultats en haut de cycles, on oblige la banque à mettre de côté des réserves. Tout cela pour éviter que les banques continuent de faire ce qu'elles ont toujours fait... Dexia, ce n'est jamais qu'un Lehman Brothers de 2011 (Lire ici l'article du Monde.fr sur le sujet).
Donc les crises contribuent à assainir les pratiques bancaires ?
Nous n'avons quand même pas tout solutionné ! Nous sommes dans une jungle de la finance et de la fiscalité où chacun essaye de s'en mettre le plus possible dans les poches sans vision sur le long terme. Le problème de cette hyper-spéculation dans un système hyper-libéral, c'est qu'à chaque fois que l'on est obligé d'intervenir, cela rappelle un certain nombre de fondamentaux auxquels il est grand temps de revenir : on voit bien que le secteur public est toujours notre bouée de sauvetage.
Les gouvernements belge et français l'ont bien compris puisqu'on nationalise en Belgique et qu'on confie à une institution proche de l'État en France ! Nous sommes en train de nous rendre compte que la sphère publique est une sphère sur laquelle on peut compter, qui a des garanties... Nous redécouvrons les vertus du secteur public. Si l'on n'avait pas oublié ce genre de choses, ça aurait été mieux ! Bâle III a beau dire de faire ceci et cela, il ne solutionne pas le problème de la déréglementation totale. Il n'existe aucun contrôle sur les finances parce que le marché est mondial. La mondialisation des échanges, ça donne quelque chose d'incontrôlable, même pas par ceux qui souhaitaient cette mondialisation.
Avec le Traité de Maastricht signé en 1992, nous avons interdit aux États-membres d'emprunter quand ils en avaient besoin à la Banque de France et ses équivalents européens. La Banque de France n'existe plus, c'est terminé. Avant qu'il y ait le traité - élaboré par des banquiers et des financiers - la France pouvait emprunter à la Banque de France, qui proposait des taux très faibles. Celle-ci contrôlait les liquidités pour éviter qu'il y ait des inflations ou des déflations. Aujourd'hui, quand un pays a besoin d'argent, il est obligé d'emprunter auprès des banques comme tout le monde. Nous avons retiré la "planche à billets" à la Banque de France pour la donner aux banques, qui créent des liquidités dans leur intérêt.
Mais en tout cas, ces liquidités n'ont pas disparu. Au moment de la crise de 2008, les journaux titraient sur le fait que les États-Unis avaient perdu 350 milliards de dollars en huit ou neuf jours. Or l'argent, ça ne se perd pas ! C'est un peu comme pour le blé, dans le sens végétal du terme : quand les coopératives craignent une chute du prix du blé, que font-ils ? Ils le mettent en entrepôt et attendent que les cours remontent. Je suis prêt à prendre le pari que les liquidités en question ne sont pas perdues pour tout le monde : elles sont entreposées dans les îles crocodiles ou alligator ou encore sur un compte en Suisse et on les ressortira au moment opportun. Car un euro aujourd'hui, si vous en avez vraiment besoin, il coûtera deux ou trois euros dans quelque temps. Les liquidités vont de poche en poche mais elles ne se perdent pas.
En attendant, les banques n'auraient plus de liquidités et les collectivités n'arrivent plus à emprunter. Quelle pourrait être la solution ?
Le souci est en effet que les collectivités ont tout de même besoin de 23 milliards d'euros alors que les banques n'en ont plus que sept en réserve. François Fillon a annoncé qu'il y aurait un déblocage de trois milliards d'euros supplémentaires mais 7+3 n'égale pas 23 ! Plusieurs possibilités sont envisageables mais compliquées car les marges de manoeuvres sont de plus en plus étroites : on pourrait peut-être imaginer que le regroupement des collectivités, la mutualisation des moyens, pourrait être une solution pour avoir moins de besoins. Et du coup, il y aurait un lien avec la loi du 16 décembre 2010 concernant la réforme des collectivités territoriales (En savoir plus ici).
Localement, pouvons-nous être certains que la Communauté d'agglomération dijonnaise ne sera pas à court d'argent pour terminer sereinement les travaux du tramway du Grand Dijon ?
Lorsqu'on s'engage dans de tels investissements, les contrats d'emprunts sont réglés dès le départ. Je connais des collectivités à qui il a été conseillé d'emprunter cent millions d'euros quand elles n'avaient besoin que de cinquante millions d'euros, cela parce qu'il n'était pas assuré que la banque ait des liquidités plus tard. L'idée est donc d'emprunter le plus possible pour être sûr d'avoir l'argent. En plus, la Chambre régionale des comptes contrôle si tout est bien en adéquation, donc il n'y a pas de doute que les travaux du tramway pourront tranquillement continuer. Par ailleurs, s'il arrivait qu'une collectivité ne puisse plus équilibrer son budget, la préfecture et donc l'État viendrait prendre sous son aile le budget de cette collectivité. Elle serait alors sous tutelle financière.
Un lecteur de dijOnscOpe s'interrogeait dans un commentaire le 06 octobre 2011 : "À quoi ont servi les administrateurs de Dexia pour en arriver à ce naufrage ?" (Lire ici), faisant référence ensuite au sénateur-maire de Dijon, François Rebsamen, qui avait remis sa démission du mandat d'administrateur de cette société en octobre 2008 (Lire ici l'article de l'Express.fr sur le sujet). Cette remise en cause est-elle juste ? Quel est le pouvoir des administrateurs ?
Il existe un comité directeur à Dexia et le pouvoir n'appartient pas aux administrateurs mais au directoire, Pierre Mariani en l'occurrence. Toutefois, lorsque l'administrateur est opposé aux décisions, il peut le dire. Mais c'est le principe de la démocratie : si quelqu'un dit que c'est dangereux et que tous les autres veulent y aller pour s'en mettre plein les poches, il n'y a pas grand-chose à faire. Après, il faudrait se procurer les procès-verbaux des conseils d'administration pour voir ce qui a été dit au moment des votes...".
* Lire ici l'article des Échos.fr sur le sujet.


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